Peut-on bien craindre que le procès de Karim Wade et compagnie devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) n’aille pas jusqu’à son terme ? Les avocats de la défense tentent de poser systématiquement des actes tendant à justifier leur départ du procès. D‘ailleurs, la décision de bouder le procès avait déjà été prise, dès le premier jour d’audience, quand le président de la Cour avait décidé de décerner un mandat d’amener contre le prévenu Bibo Bourgi, hospitalisé.
Me Pierre Olivier Sur, avocat français de Karim Wade, avait sollicité la solidarité des avocats commis par l’Etat du Sénégal pour quitter l’audience. Ces derniers ont refusé de s’associer à une telle opération et cela a fait revenir les avocats de la défense sur leur décision qui, il faut le dire, serait bien prématurée ; surtout que le président de la Cour avait pris une décision fondée strictement sur ses prérogatives. Mais si, par miracle, le procès est sauvé, on devrait assister à une situation inédite. En effet, ceux qui disaient que le procès de Karim Wade serait celui de son père et de sa gouvernance ne savaient pas si bien dire. Les dérives des douze années de gouvernance de Abdoulaye Wade étaient si criardes que nombreux sont les citoyens qui ne voudraient pas se faire à l’idée que l’ancien chef de l’Etat puisse rester impuni. Abdoulaye Wade donne une belle occasion à tout son monde de l’entendre s’expliquer devant un Tribunal sur sa gouvernance. En décidant de voler au secours de son fils, en se proposant comme témoin à décharge, Abdoulaye Wade va faire face à son destin. L’instant sera fatidique, quand le président Henri Grégoire Diop prononcera la formule «Faites entrer le témoin suivant !» et que ce témoin, tant attendu, se révélera être Me Wade. Les spectateurs, composés pour la plupart d’affidés de son parti, ne manqueront pas d’exulter de joie et de cris de victoire ou d’encouragements. On devinera le petit sourire en coin des magistrats du Parquet spécial de la Crei, Alioune Ndao et Antoine Diome, ainsi que des avocats commis par l’Etat du Sénégal. Cette occasion de voir Abdoulaye Wade devant la barre d’un Tribunal pour évoquer des aspects de sa gouvernance était devenue presqu’inespérée. Ce serait un procès par procuration, mais on salive déjà à l’idée de voir ça.
L’ancien Président Wade sera sans doute égal à lui-même. Il sera docte, dans sa superbe, voudra en imposer à son monde et voudra faire la leçon à tout le monde. On peut bien augurer qu‘il en aurait pour ses frais, car le président de la Crei semble montrer la voie, c’est-à-dire qu’il se fera obéir par tous ceux qui se présenteront à la barre. On l’a vu jeudi dernier remettre subtilement Karim Wade à sa place quand le prévenu voulait engager un dialogue avec lui. Henri Grégoire Diop lui a dit, avec calme, d’attendre qu’il lui donnât la parole. Et quand Karim Wade a obtempéré, le président de la Cour lui a intimé l’ordre de tout bonnement aller se rasseoir. Une façon très adroite de montrer à qui voudrait en douter qu’il tient à assurer la police de l’audience.
Abdoulaye Wade se fera un devoir de chercher à tirer d’affaires son fils. On sait déjà à quoi s’attendre de sa déposition. Il cherchera à politiser le procès en évoquant ses réalisations grandioses et en cherchant à impliquer le Président Macky Sall au procès. Mal lui en prendrait, car les magistrats ne s’interdiront pas de le rappeler à l’ordre et de l’emmener à se limiter à ne parler que du dossier qui les occupe. Ce serait une gifle pour lui de se voir dicter une conduite à tenir par de «petits juges». Il n’aura pas à donner le tempo de l’audience.
Pour la défense de son fils, Me Wade a annoncé la couleur plus d’une fois. Il nous dira combien son fils est le meilleur de nous tous. Qu’il a été le seul capable de sortir ses projets de terre. Que c’est pour cela qu’il était obligé de lui confier tout ce qui comptait dans ce pays. Que son fils Karim était le seul à même de pouvoir lui succéder et de parachever ses chantiers grandioses. Karim Wade, de l’avis de son père, est le plus brillant, le plus compétent de tous les Sénégalais. Oui, Abdoulaye Wade sera amené à remuer le couteau dans la plaie, car il ne pourra pas faire l’économie d’un témoignage de moralité en faveur de son fils. De son propre chef ou à la demande des avocats de Karim Wade ou même des avocats de l’Etat du Sénégal, ou encore des représentants du ministère public, Abdoulaye Wade sera bien obligé de nous dire le degré d’estime qu’il porte à son fils. Mais le plus intéressant sera le moment où il dira à la barre avoir permis à son fils Karim de s’enrichir en lui offrant les fortunes que les enquêteurs de la Crei ont découvertes au Sénégal et à l’étranger dans le patrimoine de Karim Wade. Le moyen de défense de Abdoulaye Wade a toujours été qu’il a pris sur ses fonds politiques pour offrir à ses proches. Il est interdit de rire, car pour Abdoulaye Wade et aussi pour Idrissa Seck, les Sénégalais doivent gober l’idée, aussi saugrenue puisse-t-elle paraître, que les fonds politiques peuvent être utilisés n’importe comment et à n’importe quelles fins par le chef de l‘Etat. Pour eux, l’idée que les fonds politiques ne sont pas susceptibles de contrôle constitue une licence à tout détourner, à faire des libéralités. On se souvient que dans l‘affaire dite «des chantiers de Thiès», Idrissa Seck avait usé de ce moyen de défense en affirmant qu’une partie de sa fortune provenait des fonds politiques, ce qui d’ailleurs ne serait alors rien d’autre qu’un détournement de deniers publics. Mais Abdoulaye Wade pourra nous dire qu’il a offert à Karim Wade les centaines de millions déposés en espèces dans des comptes bancaires au Sénégal. Il pourra aussi dire que des sommes déposées dans des comptes bancaires de Karim Wade à l’étranger provenaient de dons que des «amis arabes avaient faits au Président Wade». Mais il aura beaucoup de mal à nous expliquer comment Karim Wade a pu par exemple dépenser plus de 275 millions de francs Cfa avec la carte bancaire mise à sa disposition par l’Anoci, alors que tous ses frais de voyage, notamment la location d’un jet privé pour ses pérégrinations dans le monde arabe, étaient payés par le Trésor public. Abdoulaye Wade aura également de la peine à nous expliquer comment il a fait déposer dans des comptes bancaires de sa progéniture des chèques donnés par des pays étrangers pour participer au financement de l‘organisation du Festival mondial des arts nègres. Le témoin Abdoulaye Wade s’offre ainsi pour se faire malmener à la barre. Ce témoignage lui servira peut-être de séance expiatoire de ses actes de mal-gouvernance. Mais l’instant le plus difficile pour lui sera quand il fera face à son fils, assis dans le box des accusés. Une telle scène est insupportable pour Abdoulaye Wade. Il risquera de flancher et de perdre ses moyens. C’est pour éviter de montrer une telle faiblesse que l’ancien chef de l’Etat s’est interdit de visiter son fils Karim Wade en prison. Ce serait un supplice pour Abdoulaye Wade.
L’autre supplicié du procès sera Idrissa Seck, appelé lui aussi à témoigner par la défense. Seule la politique au Sénégal a ce don de provoquer des situations aussi renversantes, comme celle de voir Idrissa Seck témoigner devant un Tribunal pour sauver la tête de Karim Wade ! Le public devrait bien rire de cela.
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