Setal.net

Baisse des loyers au Sénégal: Eclairage sur le projet de loi de l'Etat (Par Thierno Bocoum)


    La volonté affichée par le gouvernement de réduire le prix du loyer jusqu'à atteindre des proportions raisonnables a été saluée par les sénégalais dans leur majorité. La mise en place d'une commission composée des acteurs du secteur et des spécialistes du domaine a fondé beaucoup d'espoirs sur la possibilité d'aller vers une baisse rapide et juste du coût du loyer. Cependant, tous ces espoirs risquent d'être déçus au regard du projet de loi soumis aux députés par le gouvernement sénégalais.  (voir ci-dessous en NB)    

Cette décision régalienne de l'Etat va créer une instabilité regrettable dans les relations entre bailleurs et locataires qui avaient réussi à établir un accord privé et ne permettra pas, pour autant, de baisser le coût des  loyers et de freiner la spéculation. Bien au contraire. En effet la mesure ne se prononce pas sur la fixation des prix des loyers mais seulement sur leur baisse s'ils ont été déjà fixés. Cela veut dire en terme pratique que le bailleur qui fixe son prix après le vote de cette loi ne sera pas concerné par la baisse imposée par l'Etat. Par conséquent, ce bailleur à qui on impose la baisse d'une location en cours peut se rattraper sur la fixation des prix dans le prochain contrat en majorant selon sa convenance. La loi se limite à exposer des fourchettes de prix sans aucune distinction liée au standing, à la zone d'habitation ou encore à la position d'habitation. Le bailleur est donc libre de choisir sa fourchette de prix et de la calquer sur ses intérêts économiques.  

Il s'y ajoute que cette nouvelle loi légalise ce qui a été jusque là considéré comme illégal. En effet, il était exigé aux bailleurs de louer sur la base de la surface corrigée depuis le décret n°77-527 du 23 juin 1977 relatif au montant du loyer des locaux à usage d'habitation. Cette loi initiée par le gouvernement inaugure une possibilité de mettre son bien en location sans recourir à ce calcul d'où son intitulé : "Projet de loi n° 04/2014 portant baisse des loyers n'ayant pas été calculés suivant la surface corrigée". 

En légalisant les locations sans recourir au calcul suivant la surface corrigée et en se contentant d'établir des fourchettes de prix sans aucune distinction liée au standing, à la zone d'habitation ou encore à la position d'habitation, l'Etat encourage et à la limite légalise la spéculation. Désormais, la seule obligation qui pèse sur le bailleur c'est de baisser le loyer en cours. Il peut par conséquent fixer ses prix selon sa convenance après s'être libéré du contrat qui le lie avec le locataire.  

Le locataire qui avait bénéficié de la baisse de son loyer en cours et qui a décidé de changer de lieu d'habitation pour différentes raisons va donc se confronter aux dures réalités de la loi du marché aggravées par une décision régalienne de l'Etat. De même ceux qui vont bénéficier de la réduction et qui seraient tentés de changer de standing vont également retomber dans les mêmes travers de hausse de prix.  Il en est de même pour tous les nouveaux locataires qui envahissent le marché de la location. Ils risquent d'être accueillis avec des prix qui seront le fruit d'une spéculation "légalisée" par l'Etat du Sénégal. 

    Il s'y ajoute que les fourchettes retenues pour appliquer les taux sur les locations en cours ne répondent à aucun critère objectif. Le coût du loyer n'est pas un indicateur fiable pour identifier le pouvoir d'achat d'un locataire. Ceux qui sont logés dans les fourchettes à des taux inférieurs sont le plus souvent ceux qui ont en charge de grandes familles et qui méritent le plus d'être aidé. Par exemple, un célibataire qui loge dans un studio à 75 000 f  CFA bénéficiera d'une baisse de 29% alors que son collègue marié de même catégorie professionnelle qui loge avec sa famille dans un appartement de 175 000 f CFA va juste bénéficier d'une baisse de 14%.    

Le plus invraisemblable dans cette affaire est que l'Etat a décidé d'imposer une réforme sociale à incidence financière, sans aucune contre-partie financière de sa part. L'Etat va imposer aux bailleurs de réduire le loyer sans réduire lui-même les taxes qu'il leurs impose. C'est ainsi que l'impôt sur les revenus fonciers, la TOM, l'impôt sur le foncier bâti, la TVA sur les loyers mensuels... sont maintenus intacts. Ce qui constitue un abus de pouvoir manifeste.     

L'argument soutenu par le gouvernement et selon lequel une étude a révélé que le coût  de la construction n'a augmenté que de 44% alors que le coût du loyer est monté jusqu'à 256 % n'est pas un argument pertinent. Les faits révèlent que les coûts de matériaux de construction ont doublé. Il en est de même des taux d'emprunts bancaires qui sont parfois insupportables et peuvent évoluer de 7% à 10%. Quant au foncier, il fait l'objet d'une spéculation galopante. Le prix du m² a atteint des proportions inquiétantes dans certaines localités et l'Etat participe à cette spéculation à travers ses services. En effet les services fiscaux de l'Etat évaluent le foncier non pas sur la base de la loi mais sur la base du prix du marché, fruit de la spéculation. Par exemple le décret 2010-399 du 23 Mars 2010 portant fixation du barème des redevances pour occupation temporelle du domaine public de l'Etat fixe le barème le plus cher à Dakar à 300 000 f CFA  le m² alors que l'évaluation des experts et des services fiscaux peuvent aboutir à des barèmes allant jusqu'à 1 000 000 f CFA  le m². Une situation qui ne peut être sans conséquence sur le coût de la construction. L'argument de la régulation est donc une absurdité quand cette régulation se limite à la phase d'exploitation d'un investissement tout en ignorant le coût de l'investissement.     

C'est également une absurdité que de comparer les prix des loyers avec les prix des denrées de premières nécessités. La détermination du prix des loyers par les bailleurs obéit à des spécificités qui ne peuvent s'accommoder à une application généraliste de la loi.  Les bailleurs ne peuvent et ne doivent pas être vus du même œil. Certes, les bailleurs spéculateurs existent bel et bien mais l'Etat doit faire l'effort de les identifier et de les sanctionner en application des lois existantes. A côté du bailleur spéculateur, il y'a le bailleur qui fixe un prix raisonnable et qui ne fait pas recours à la surface corrigée. De même  ils sont nombreux ces bailleurs qui tirent leurs revenus exclusivement de la location et dont le loyer est parfois adossé à un prêt bancaire. Ils ont le plus souvent une fourchette de location de moins de 150 000 f CFA  et vont donc subir une baisse de 29% sur leurs revenus mensuels de survie en plus des charges d'emprunts bancaires.    

D'un autre point de vue, la loi étant d'ordre général et impersonnel les taux fixés par l'Etat sont appliqués jusque dans les localités où aucune spéculation n'est notée. Or, il se trouve que dans certaines villes de l'intérieur du pays des bailleurs sont parfois obligés de réduire considérablement leurs prix de location compte tenu de la rareté de la demande.  

Les bailleurs qui vivent des situations différentes vont subir les taux imposés par l'état sans distinction aucune.  

Le Gouvernement sénégalais a finalement décidé de gérer une question plus que sérieuse sous le prisme du populisme. Son empressement à récolter des dividendes nous expose à une situation insolite qui ne réglera pas pour autant le problème crucial du loyer.  La responsabilité d'un Etat qui veut assister ses administrés qui vivent dans la situation décrite est d'agir sur le marché en diminuant la pression de la demande et en augmentant l'offre. Dakar représente 0,28 % du territoire national, concentre 25% de la population et 80% de l'activité économique. La situation de la capitale ne peut être sans conséquence sur le marché de l'offre et de la demande dans le secteur du loyer. L'Etat a la responsabilité de désengorger la capitale sénégalaise qui étouffe du fait de la concentration des activités économiques et administratives. Il doit favoriser la création de pôles de développement économique à travers le pays qui puissent permettre de fixer les populations et de freiner l'exode rural. L'Etat a la responsabilité de faire l'audit du foncier, de confier à ses structures comme la SN HLM et la SICAP la mission d'engager un  vaste programme de construction de vrais logements sociaux et de veiller à ce que ces structures n'arriment pas leurs prix de vente sur les prix du marché, fruits de la spéculation.

L'Etat ne peut, non plus, se soustraire de sa responsabilité de multiplier les sources de revenus dans les familles en créant des emplois et ainsi permettre à ces familles de supporter le coût de la vie qui ne se résume pas à la cherté du loyer.           Thierno Bocoum  Député à l'assemblée nationale  thbocoum@gmail.com  https://www.facebook.com/thierno.bocoum.79            

NB: Le projet de loi n° 04/2014 portant baisse des loyers n'ayant pas été calculés suivant la surface corrigée consacre à son article premier une diminution de 29% pour les loyers inférieur à 150 000 f, 14% pour ceux compris entre 150 000 f à 500 000 f, 4% pour les loyers supérieurs à 500 000 f. L'article 2 dispose que cette loi  " s'applique à tous les baux à usage d'habitation en cours".

Et enfin le troisième et dernier article dispose que "toute violation de la présente loi expose son auteur aux sanctions prévues par la loi n° 81-21 du 25 juin 1981 réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage d'habitation".                         

Thierno Bocoum, Député à l'Assemblée nationale

Mercredi 15 Janvier 2014 - 06:18



Avis des Setalnautes

1.Posté par Ousmane Diakhaté le 17/01/2014 02:01 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
voilà un vrai représentant du peuple qui se soucie vraiment des problèmes du peuple. cette mesure de baisse des loyers, qui a des relents politiques, risque d'installer le pays dans une situation de désordre et de troubles sociaux jusque-là jamais connu. sans le savoir le gouvernement sénégalais est en train de monter des sénégalais contre des sénégalais, et de bafouer les principes de la démocratie. l'Etat sénégalais, en votant cette loi absurde, a violé le domaine du privé qui ne relève pas de sa compétence.
le temps n'est pas à la démagogie politicienne. les sénégalais ont besoin de dirigeants qui se préoccupent des véritables problèmes auxquels ils sont confrontés. que le président tienne ses promesses préélectorales; qu'il crée les milliers d'emplois qu'il avait promis à la jeunesse sénégalaise; qu'il règle le problème de la cherté de la vie; QU'IL RÈGLE LE PROBLÈME DES ETUDIANTS, LA CRISE DE L'EDUCATION QUI SÉVIT DEPUIS DES ANNÉES. ET DE GRÂCE, QU'IL CESSE DE DISSIMULER SON INCOMPÉTENCE DERRIÈRE "LA BAISSE DU PRIX DU LOYER".

2.Posté par SOW le 19/01/2014 08:42 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
M. Diakhate, tu m'as tout l'air d'un bailleur.
Il faut reconnaître que la partie qui souffre de l’état actuel du coût du loyer est exclusivement le locataire.
Cette loi doit être considérée comme une thérapie d’urgence.
Maintenant, le diagnostic peut continuer et ce sera bénéfique pour tous si les sources du mal sont identifiées et éradiqués.
Les remarques soulignées par le député Bokoum sont pertinentes mais peuvent trouver solution ultérieurement.

3.Posté par azimuts@ immobilier sarl le 24/01/2014 18:57 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
Remarques très pertinentes, faut des solutions définitives et adaptées plutôt que ces absurdités.
Merci encore

4.Posté par MARX le 25/01/2014 13:59 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
Une Analyse pertinente de M.Bocoum! Cette loi a été précipitée, à la limite absurde et maintenant il n'est plus possible de reculer. Ceci méritait des études sérieuses et beaucoup de paramétres à tenir compte. Aucune consultation et aucune mesure d'application n'est jusque là mise en place.
Je suis sûre qu'on verra plus de population sans abris dans 3mois parcequ'il existe déjà plus de possibilités de faire déguerpir les locataires que d'appliquer la loi. En plus si les acccessoires installés dans une maison ou une chambre sont plus chérs que le prix du loyer et les charges variables au nom du bailleurs le plus souvent qui ne seront jamais maîtrisées par le bailleurs , je pense qu'un bailleurs avertit sera plus tentée de demander 4à5mois de caution aux locataires qui pour la majorité déménagent en catastrophe(ils partent et avec des mois impayés et avec des factures d'eau et d'électricité au nom du bailleurs impayées et en laissant derriére des accessoires endommagés et tout ceci pour un mois de caution. Trop de paramétres à tenir en compte.Je vis les réalités en tant que gérant d'une immeuble et en tant que locataire d'un appartement. Il fallait juste imposer la supression des commissions de courtage et l'agence ne gagnera que sur le % des loyers encaissés et ce serait une aubaine pour la population.

5.Posté par laye le 29/01/2014 16:20 (depuis mobile) | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
Pour ma part je pense que vouloir aider par n'inporte quelle manière finit par resulter à des problémes encore plus compliqués et irréversibles: je pense que cette loi a été réflèchi à l'enver car les bailleures les plus dimunies se voient apauvrit par 29% et les riches ne sont pas dérangés par une diminution 14%.

Nouveau commentaire :
Facebook Twitter

Setal.net est un site d’échanges. Mais ne voudrait pas être un espace d’échanges d'insanités. Par conséquent, nous vous invitons chers setalnautes à plus de retenue. Vous pouvez dire votre opinion en restant correct. En tout cas Setal.net se réserve le droit de supprimer tout commentaire qui répondrait pas à la charte du site. Merci de votre compréhension


Setal People - 11/01/2024 - 0 Commentaire

La femme de Sadio émue : Le « Ndokolé » de ses camarades d’école… (vidéo)

Mariage de Sadio Mané : Les premières images de son épouse

07/01/2024 - 0 Commentaire

Courroucé par son divorce, le maintenancier du Prodac divulgue les vidéos d'ébats sexuels de son ex épouse

28/12/2023 - 0 Commentaire

Remariage : Mia Guissé a pris une décision

28/12/2023 - 0 Commentaire

Awa Baldé raconte sa descente aux enfers :«Je n’ai plus d’argent …»

28/12/2023 - 0 Commentaire





Google+

Partager ce site