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Textes de musique sénégalaise : A l’heure du nivellement vers le bas


Textes de musique sénégalaise : A l’heure du nivellement vers le bas

Hein-hein’’, ‘’Vrouthie vrathie’’, ‘’Rigou-rigou’’, ‘’Voudoung vadounng’’, ‘’Kone yess’’. En voilà quelques expressions qui font fureur et qui sont de chanteurs sénégalais. Ils font le buzz actuellement, sont adulés par la jeune génération. Ces refrains passent en boucle sur toute la bande Fm. Et leurs auteurs donnent des spectacles à guichets fermés, malgré le reproche qui leur est fait de tirer la musique vers le bas, de par la pauvreté de leurs textes. Ces musiciens peuvent-ils s’imposer durablement sur le marché, voire percer à l’international, à l’instar de leurs ‘’grands’’ comme Youssou Ndour, Thione Seck, Ismaïla Lo, Oumar Pène, entre autres ? Les points de vue d’acteurs culturels interrogés par ‘’EnQuête’’ sont divergents.

Elle est ‘’funny’’, la nouvelle génération de chanteurs sénégalais. Beaucoup n’ont pas de talent, mais arrivent quand même à se faire connaître et souvent grâce à des titres sans grand intérêt. Les expressions qu’ils utilisent sont inédites et ne veulent généralement pas dire grand-chose. Prenez le bus, faites un tour dans les écoles ou écoutez chez vous ceux qui vous entourent et vous verrez que le vocabulaire a beaucoup changé. Si vous êtes ‘’has been’’, vous ne comprendrez rien de certaines expressions comme ‘’Kone nonoula, kon yess’’ en passant par ‘’Noy moyto sa none’’, ‘’Lou bandit di nirol’’, ‘’Coucou sinap’’, etc., vous vous perdrez facilement dans ce laïus. Ecoutez un peu les ‘’nouveaux talents’’ qui font l’actualité musicale et vous pourrez vous retrouver. Ils passent en boucle sur les ondes des différentes stations de radio. Mais leurs musiques ne bercent aucune âme.  Seuls l’ambiance, le rythme, le fun et le spectacle comptent pour ces musiciens. Mais qu’à cela ne tienne ! Le public s’est approprié cette tendance.  

Le lead vocal du Raam Daan, Thione Ballago Seck, disait : ‘’Weuy bu yétéwoul, xameléwoul, birëloul, dickléwoul aye naxatéla’’ (Si une chanson ne permet pas de sensibiliser, d’informer,  de conseiller, alors elle ne sert à rien). Interrogé par ‘’EnQuête’’, le chanteur Abdou Guité Seck, dont la teneur des textes est souvent saluée, s’est voulu prudent : ‘’N'oublions pas d'abord de rappeler que la musique a une base scientifique avec ses normes, mais aussi ses aspects artistiques permettant de nous libérer. La musique se pratique, s'écoute, se contemple, se partage. En tant qu'artiste, compositeur et interprète dans cette masse existante, je n'ai pas ce pouvoir de porter un quelconque jugement sur la qualité des œuvres produites par mes pairs. Si j'en sais quelque chose aussi, je le garde pour moi’’, se débine-t-il.

Ndiaga Mbaye, Laye Mboup, Thione Seck, etc., les vrais paroliers

Docteur  en lettres, auteur et conteur hors pair,  Massamba Guèye pense qu’aujourd’hui, on est plus dans le fun que dans la sémantique. Le parolier estime que certains artistes cherchent à marquer les consciences par des mots bizarres, des expressions populaires et chacun essaie de trouver un créneau pour faire vendre des vidéos.

‘’Je pense que ce qui intéresse, ce n’est plus de travailler avec un parolier ou d’écrire des textes riches. Ce qui intéresse, c’est juste de dire des choses qui ont une musicalité, mais qui n’ont aucune profondeur sémantique’’, se désole-t-il.  Le professeur n’a cependant rien contre l’utilisation, par ces musiciens, des mots et termes de leur génération, mais insiste sur la discographie qui ne peut exister que si on a des textes de qualité.

De l’avis du chanteur Thione Seck, considéré par beaucoup comme l’un des plus grands paroliers de la musique sénégalaise, (d’ailleurs un livre a été fait en ce sens sur lui), il faut que les gens comprennent que les temps ont changé. Les préoccupations que lui pouvait avoir en écrivant ou encore Ndiaga Mbaye, Laye Mboup, les jeunes ne l’ont pas. Lui et ses collègues n’osaient pas, selon lui, faire des textes qui n’ont aucune valeur. Mais, s’empresse-t-il d’ajouter, ‘’il faut comprendre les jeunes. Ce à quoi on assiste en ce moment n’est que la résultante d’un conflit de génération. Beaucoup de choses ont changé et l’ambiance l’emporte sur le sens des paroles. Maintenant, au lieu  de rouler à 100 à l’heure, on roule à 1 000 à l’heure. Mais du moment que cette jeunesse s’y retrouve, il  n’y a pas de souci. Peut-être quand ils grandiront, ils vont se remettre en question’’, espère-t-il.

‘’On n’est pas obligé de chanter, si on n’a rien à dire’’

Le parolier et poète Birame Ndeck Ndiaye, qui est l’auteur de beaucoup de textes de Youssou Ndour, pense autrement. Pour lui, quelle que soit la génération, la qualité doit être de mise. Tout chanteur, estime-t-il, doit veiller à laisser des choses à la postérité. ‘’Cette génération sera celle de demain.  Il faut faire attention, car on parle à un peuple, à des enfants, à des adultes, à des personnes responsables. Il y a du tout dans ce public qu’on doit respecter. Quand on chante, on ne s’adresse pas à soi-même, mais aux autres. Quelle que soit la génération, il faut être capable de mesurer la responsabilité qui nous incombe. Par respect au public, on doit soigner ce que l’on dit’’, pense l’ex-directeur du Centre régional des œuvres universitaires de Saint-Louis (Crous). Il est d’avis ‘’qu’on n’est pas obligé de chanter, si on n’a rien à dire. Il faut que l’émetteur puisse penser au récepteur. On a le droit de faire ce qu’on veut pour soi-même. Mais on n’a pas le droit d’induire les autres en erreur, surtout une population qui doit être éduquée. Quand on a la responsabilité d’être écouté, et parfois même d’être imité, alors il faut dire que celui qui est conscient de ses actes doit en assumer la responsabilité. Encore une fois, moi, je ne pense pas que c’est une affaire de génération, mais une question d’individu’’, laisse-t-il entendre. Il n’empêche que le père de Wally Ballago  persiste sur sa position. Persuadé que les goûts et les couleurs ne se discutent pas, il souligne : ‘’Les gens consomment leur musique. D’ailleurs, ces musiciens font le plein quand ils se produisent : cela veut dire que ça plait à cette nouvelle génération.’’

Le populaire, oui. Mais il ne faut pas faire de sorte que ce côté exclusivement fun l’emporte sur l’essentiel, le vrai. C’est du moins la conviction du professeur Massamba Guèye. ‘’Le public ne choisit pas toujours. Il y a aussi ce qu’on appelle la dictature. On peut imposer quelque chose au public. Quand il bouge, vous pouvez être amené à penser qu’il aime cela, mais il faut regarder quel est le répertoire personnel des gens, quand ils sont tristes ou seuls. Qu’est-ce qu’ils écoutent pendant ces moments ? Ces tubes, ce sont des musiques de phénomène, c’est ce qu’on appelle des tubes d’été. Ils marquent un temps et font bouger les gens pendant un instant. Mais je ne pense pas que c’est ce que le peuple aime’’, pense le professeur. Le poète  corrobore ses propos. ‘’Le public ne doit pas se laisser faire par des gens qui, parfois, n’en connaissent pas mieux qu’eux. Il faudra que ceux qui ont des choses à dire se réveillent. Le Sénégal, si on ne fait pas attention de manière générale, va droit dans le mur. Ceux qui sont au-devant de la scène ont souvent des agendas cachés. On les regarde, mais personne n’en parle. Si l’on continue sur cette voie, ce sera la dictature  du médiocre sur le meilleur. Tout le monde serait responsable’’, juge-t-il.

Un tel jugement est partagé par le chanteur  Abdou Guité Seck. Il dit : ‘’La musique se pratique dans une diversité et le public la consomme ainsi. Chacun a son public. Si, aujourd'hui, vous avez-vous-même constaté que la médiocrité gagne du terrain et est mise en avant, cela interpelle chacun de nous. Les responsabilités sont partagées (législateurs, médias, pratiquants, consommateurs, etc.).

‘’La parole n’est point importante, on écrit pour les pieds et pour les reins’’

 Certains jeunes musiciens ont-ils compris ces préoccupations de ces acteurs ? Non, serait-on tenté de répondre. En outre, une question qui mérite d’être posée dans ce débat, c’est comment en est-on arrivé là ? L’enseignant chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Ibrahima Wane, estime que ce phénomène est dû à la piraterie qui a poussé certains à ne plus sortir d’albums et de s’en tenir à des singles pour être au-devant de la scène et essayer de gagner de l’argent avec les spectacles. ‘’Avec cette stratégie, c’est l’aspect dansant, l’animation qui est mis en avant, mais pas le texte. Une stratégie qui consiste donc à mettre une chanson rythmée, qui marche en boite.

Cette nouvelle génération est venue dans un contexte où l’on fait des singles pour faire danser. C’est ainsi qu’ils peuvent être au top de l’animation’’, argumente le maitre de conférence en littérature africaine orale. Fort de ce constat, renchérit-il, ‘’la parole n’est point importante, on écrit pour les pieds et pour les reins. La tête, ce n’est pas important. Et cela se voit de la manière avec  laquelle les danseurs et les danseuses sont entrés dans le jeu. Il ne s’agit pas de textes, plutôt  de rythme et de danse’’, plaide le Pr. Wane. Aux détracteurs de ces phénomènes, il explique : ‘’Dans le domaine de la création, on ne peut pas interdire. Cela  peut conduire au pire.

On ne peut pas demander aux gens d’écrire comme ça ou de danser de cette manière. Tant que les limites de la décence ne sont pas violées, laissons le public choisir. Le temps va juger. Il faut cependant voir ce qu’ils représentent en termes de nombre et d’économie. C’est commercial et une question de marché’’, a-t-il laissé entendre. Aussi, il n’a pas manqué de rappeler que dans le domaine de la création, ce qui sauve, c’est la diversité. ‘’Il n’y a pas que ça comme musique. Actuellement, c’est l’une des tendances dominantes, mais il y a ceux qui font du hip-hop, de  la musique traditionnelle... Il faut comprendre que c’est une partie de la musique sénégalaise. Il y a des gens qui n’écoutent pas et qui n’aiment pas. C’est un des éléments les plus visibles, car c’est la nouvelle vague. Ce n’est pas dramatique. Cela peut juste être un phénomène passager. D’ici 5 ans, peut-être on peut se retrouver avec autre chose’’, a-t-il ajouté.

‘’On ne retiendra rien de l’artiste, quand il finira sa carrière’’

Quel qu’en soit le cas, Thione Ballago rappelle que ‘’les paroles riches de sens sont aussi très importantes dans une chanson, car l’ambiance passent, mais les paroles resteront toujours’’. Ce qui est important, selon Dr Massamba Guèye. Maintenant, tout dépend des aspirations des uns et des autres. ‘’Un artiste qui gère un succès peut se suffire de ce qui marche pour le moment. Mais un artiste qui gère une carrière doit penser à un tube intemporel, qui va marquer toute une génération. Un tube qui, dans 10, 20 ans, lui permettra de vivre dans un pays où les droits d’auteur ne sont pas à la hauteur de ce qu’on peut espérer’’, prévient-il. Aussi, regrette-t-il, ce fait est une dégradation, du moment où on ne retiendra rien de l’artiste quand il finira sa carrière.

Car, raisonne-t-il, il y a ‘’une écriture kleenex et une écriture de qualité’’. A l’en croire, on peut avoir des textes profonds qui ne font pas bouger, mais qui marquent leur époque.  Il a cité dans ce sens le titre ‘’Tabaski’’ de Youssou Ndour. C’est un morceau qui revient chaque fois et qui a un sens. Mais prenez ‘’Rimbapapax’’ chanté Thio Mbaye, allez demander à cette jeune génération ce que cela veut dire.  Comment se fait-il que le texte construit par Youssou Ndour, qui touche les consciences et les habitudes culturelles reste, alors que l’autre, qui avait fait un buzz énorme, a disparu ?’’, s’interroge-t-il. Ce qui d’ailleurs fait dire à Birame Ndeck Ndiaye que la musique, ce n’est pas que le rythme, l’harmonie, la mélodie, c’est tout un ensemble, un moyen de communication. On s’adresse à des gens qu’on peut influencer. Donc, il faut les influencer en bien’’. A Abdou Guité Seck d’ajouter : ‘’Il faut une réflexion profonde autour de cette problématique pour trouver des solutions et rendre à César ce qui lui appartient. En ce qui me concerne, je m'attelle à bien penser ma musique avant de l'exécuter. En vérité, je pense qu’il y a un public de qualité qui recherchera toujours une musique de qualité. Et c’est cela qui me pousse à continuer dans ce sens. En outre, j’ai entendu dire que nous ne sommes que ce que l’on consomme.’’

BASS THIOUNGUE (AUTEUR DE ‘’KON YESS’’) 

‘’Des musiciens ont passé plus de 20 ans à éveiller des consciences et personne…’’

‘’La musique, c’est une question de sensibilité.  Le monde bouge, donc il faut faire avec. Beaucoup d’artistes étrangers viennent pour faire des shows au Sénégal, certains ne comprennent même pas leurs langues, mais y vont tout de même à cause du rythme. Donc, les Sénégalais doivent nous laisser faire. Si on parle de thème et d’enseignement dans la musique, tout le monde sait que nos ainés ont épuisé tous les registres.  On a eu  Ndiaga Mbaye, Thione Seck, Youssou Ndour, Ismaïla Lo...

On est venu avec une autre facette pour faire notre promotion. Il ne faut pas qu’on se voile la face. Il y a beaucoup de stress et de problèmes dans le pays. Il faut qu’on se libère du stress et qu’on joue la carte de la bonne humeur. Certains ont besoin d’être ‘’happy’’. Aujourd’hui, le morceau ‘’Koon nonoula, koon yes’’ est un antistress. Il y a qu’on peine à les connaitre. Avec le minimum qu’on vient de servir sur la scène musicale, on arrive à faire le buzz. Celui qui fera carrière, seul Dieu le sait. Donc, ils n’ont qu’à arrêter.’’



Mardi 27 Février 2018 - 05:40





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