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Le cadeau de trop aux juges

La République des juges naît, comme le dit très justement Paul Ricœur, lorsque les Institutions sont en décomposition. Ces dix dernières années, les désirs des magistrats ont été des ordres. Le président Abdoulaye Wade, fragilisé par sa fin de règne et son souci d’amadouer les juges, ne savait rien leur refuser. On peut même dire qu’il faisait tout pour être dans les bonnes grâces des magistrats. C’est dans les derniers mois de sa gouvernance qu’il a pris une série de mesures pour porter le salaire de hauts magistrats à 5 millions de francs Cfa et instituer une cagnotte que devraient se partager les magistrats à la fin de chaque trimestre.


Le cadeau de trop aux juges

Il faut dire que Abdoulaye Wade qui se disait animé d’une volonté de redorer le statut social des magistrats, n’avait de cesse d’initier des mesures pour améliorer leurs conditions de vie et de travail. Tout le monde avait applaudi à cela, car on s’accorde autour de l’idée selon laquelle, le premier jalon pour garantir l’indépendance de ce corps de fonctionnaires régulateurs de la vie dans la société mais aussi de la stabilité de toutes les institutions de la République, serait de les doter de moyens matériels et humains à même de leur permettre d’exercer leurs missions en toute sérénité.  C’est dans cette optique que les magistrats ont bénéficié d’un décrochage exceptionnel par rapport à la grille salariale de la Fonction publique, avec pour conséquence des grincements de dents au niveau des autres corps de fonctionnaires de l’Etat. L’indemnité de judicature de 150 000 francs par mois allouée au magistrat par décret du 16 avril 1998 avait été augmentée à hauteur de 800 000 francs par mois le 28 décembre 2006. Aussi, l’indemnité de logement des magistrats de 100 000 francs par mois a été doublée. Il s’ajoute à ces émoluments le salaire de base payé en fonction de la grille de la hiérarchie A1 de la fonction publique, c’est-à-dire, la grille la plus élevée de la fonction publique. Les magistrats placés à des niveaux de responsabilité sont également bénéficiaires d’autres types d’indemnités liées à leurs fonctions. Et ils étaient nombreux à être logés par l’Etat du Sénégal et qui continuaient à toucher leurs indemnités de logement. Un rapport de la Cour des comptes a eu à dévoiler cette forfaiture, sans pour autant qu’une telle pratique soit définitivement bannie. Abdoulaye Wade avait aussi initié, à la demande de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums), la distribution aux magistrats de lots de centaines de terrains à usage d’habitation.  Les habitués du Palais de justice connaissent aussi la pratique, de tout temps, de la visite mensuelle de motards qui faisaient le tour des bureaux des hauts magistrats en distribuant des enveloppes tirées des fonds politiques du chef de l’Etat. La pratique avait pour objet d’apporter une aide à ces hauts fonctionnaires. On sait que sous Abdoulaye Wade, la pratique avait atteint des magnitudes sur une certaine échelle de générosité et que les hauts magistrats se déplaçaient pour émarger directement sur les fonds politiques. N’est-ce pas que l’ancien directeur de cabinet du président Wade, Idrissa Seck, avait craché cela à la figure du juge Cheikh Tidiane Diakhaté lors des auditions de la commission d’instruction de la Haute cour de justice sur le scandale des Chantiers de Thiès ?

Bref, les magistrats sénégalais n’étaient plus des laissés-pour-compte. Au contraire, ils sont devenus les fonctionnaires de l’Etat nantis des meilleurs traitements. Aujourd’hui, le magistrat sénégalais touche mieux que ses homologues ivoirien, camerounais, gabonais ou belge. Pourtant, en son temps, l’Ums avait argumenté l’augmentation des salaires des magistrats en donnant l’exemple du juge ivoirien. C’était une belle escroquerie ! Les chiffres présentés à l’époque à Abdoulaye Wade étaient faux. Laurent Gbagbo n’a revalorisé le salaire des magistrats que par un décret du 11 février 2008 en faisant passer le salaire de 400 000 francs par mois à 800 000 francs par mois. En France, selon la grille indiciaire traitant du salaire des magistrats, au 1er juillet 2010, l’amplitude des salaires nets perçus s’étendait de 2 633 euros (1 600 000 francs Cfa) en début de carrière à 8 745 euros (5 500 000 de francs Cfa) en fin de carrière. Ce salaire des juges français avait dû être augmenté en 2010 car, si l’on en croit une étude menée en 2008 par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), en 2006 le salaire annuel brut moyen d’un juge en France et en Allemagne, en début de carrière s’élevait à exactement 30 632 euros nets.

Ce traitement n’a pas empêché les magistrats de poursuivre dans une certaine forme de surenchère revendicative. Et à chaque fois, Abdoulaye Wade cédait à leurs desiderata. Le 1er décembre 2011, il leur fait le cadeau de trop avec la mise en place d’un Fonds commun des magistrats (Fcm). Ce mécanisme de rétribution des magistrats n’existe nulle part au monde. «Le fonds commun des magistrats sera alimenté par les recettes recouvrées au titre : des amendes criminelles, correctionnelles ou de police ainsi que des confiscations prononcées par les Cours et Tribunaux en toutes matières (…) ; des amendes civiles, des droits de chancellerie payés par les bénéficiaires de décrets de naturalisation ; des consignations faites pendant l’instruction lorsqu’elles sont devenues définitivement acquises au Trésor public (…) ; toutes autres ressources décidées conjointement par le ministre chargé des Finances et le ministre chargé de la Justice.» En langage moins ésotérique, les magistrats alimenteront directement leur caisse par les actes qu’ils prendront. Alors se demande-t-on, si le juge n’aura pas en tête, en fixant une consignation, une amende ou toute autre mesure à incidence financière, de remplir sa propre poche ? C’était comme cela avant la Révolution française de 1789 ! C’est à cela que le Président Macky Sall voudrait mettre un terme en se proposant de rapporter le décret instituant le Fcm. Après une réu­nion le 17 juillet 2012 avec le ministre de la Justice, l’Ums a brandi la menace de paralyser le fonctionnement de l’institution judiciaire. Des magistrats qui croient encore en la noblesse de leur profession sont contre l’idée de ce Fcm, notamment par la forme de son alimentation. Les avocats dont les clients, les justiciables, seront lésés par cette mesure, font encore le dos rond. Les greffiers eux sont révulsés par la cupidité de leurs patrons. L’Ums ira en assemblée générale le 1er septembre prochain et devrait se radicaliser pour imposer à l’Etat qu’on ne «touche pas à cet acquis (sic !)». Le cas échéant, on n’assistera plus à une République des juges mais à la dictature des juges.

Par Madiambal Diagne

Source: Le QUOTIDIEN


Mardi 31 Juillet 2012 - 13:11



Avis des Setalnautes

1.Posté par Jozef SIVAK le 01/08/2012 11:09 | Alerter
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Bopnjour,

choise curieuse, mais exactement la même chose peut être dite des tribunaux s et des juges en Slovaquie où la négation de l'ordre juridique de l'ancien régime (socialo-communiste) va jusqu'à la rupture de la continuité juridique et à l'inaplication de la loi quand celle-ci est favorable au plaignant. Et où l'indépendance et la soi-disant neutralité des tribunaux est détournée au profit de la corruption et du clientélisme généralisés. Cette position des tribunanux est encore renforcée par la passivité voire le dysfonctionnement des pouvoirs publics, eux aussi étant atteints pas la corruption, de sorte que les juges décident des affaires que devaient normalement résoudre des maires, des municipalités et des organes d'Etat. Les juges et les magistrats juissent en même temps des privilèges immérités, au point tel que les députés comme les citoyens demandent de plus en plus de leur ôter l'immunité pénale. Mais c'est tout le système juridique qu'il faudrait réformer. Car des deux choses l'une: soit nous avons un Etat de droit, soit une organisation des voleurs de la haute tenue.
Avec mes cordiales salutations.
J. SIVAK, chercheur et anc. auditeur de P. Ricoeur

2.Posté par NGANDIOUF le 02/08/2012 12:23 | Alerter
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Le métier de magistrat est très noble et ils ont beaucoup de mérite.Ils doivent leur réussite en partie au pays qui les a tout donné.N'est ce pas l’État du Sénégal qui a pris en charge les frais de scolarité de la plupart d'entre eux du CI à l'ENAM?Ils doivent quand même avoir de la retenue et exprimer la reconnaissance pour montrer la voix aux nouvelles générations à venir.Ils se doivent de montrer l'exemple dans la vie de tous les jours.
Messieurs les magistrats,vous n’êtes pas des gens ordinaires,prenez de la hauteur dans certaines de vos considérations car ça n'honore pas le métier de magistrat.

3.Posté par pape le 03/08/2012 16:12 | Alerter
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"...L’Ums ira en assemblée générale le 1er septembre prochain et devrait se radicaliser pour imposer à l’Etat qu’on ne «touche pas à cet acquis (sic !)». Le cas échéant, on n’assistera plus à une République des juges mais à la dictature des juges."
Au moment où le peuple ne parle plus que de "biens mal-acquis", on devrait obligatoirement, et sans transition, penser à reconsidérer ces-dits "acquis" mal acqueris , rattrapés par le temps! Obsolètes!
Ils risquent une boulimie, ces magistrats! Une boulimie qui les ménerait droit aux mêmes troubles du comportement dont souffraient Wade et son équipe!
Souvenons-nous du mépris, du manque de respect et de considération que Wade et co. ont eus vis-à-vis du peuple sénégalais! Pas besoin d' aller chercher loin pour deviner les causes de ces troubles du comportement:
L' enrichissement rapide et incontrolable d' alors!!!
Si en plus, ce sont des gens qui sont sensées représenter la loi, qui se comportent comme des chacals, alors là...
Jusqu' au règne de Wade, c' est la philosophie du "gniak fayida gaawa déé" qui prévalait. A l' époque, c' étaient les proches, famille et amis qui faisaient la pression sur leurs membres qui occupaient des postes de responsabilité.
On connait tous, les phrases du genre: "Un tel n' a fait que 3 mois de service et a déjà construit une villa de X millions pour sa mère". Ou des phrases du genre: "Un tel habitait sous location il n' y a pas si lontemps et s' est construit une villa quelques mois après sa nomination à tel ou autre poste".
Nous avons tous crié notre ras-le-bol, et les poursuites judiciaires en cours en sont la suite.
Si notre LOI se fait respecter, ce seront les proches, familles et amis qui seront les premiers à conseiller les leurs de garder les mains propres. Maintenant que des têtes sont entrain de rouler, et pas n' importe desquelles, les magistrats et autres personnalités de la magistrature seraient bien avisés de se mettre au diapason des sénégalais et de garder leur mémoire fraiche. Vous ne gagnerez rien à être discrédités du peuple! Et c' est ce qui risque de vous arriver si vous vous hissez sans vergogne au dessus des lois!
Je concois, j' éxige même que vous soyiez mis dans les conditions les meilleures pour faire respecter, donc appliquer la loi, mais le bon-sens devrait vous garder de légitimer l' illégitimable!!!
Selon Mr Madiambal Diagne, auteur de cet article: "Et ils étaient nombreux à être logés par l’Etat du Sénégal et qui continuaient à toucher leurs indemnités de logement. Un rapport de la Cour des comptes a eu à dévoiler cette forfaiture, sans pour autant qu’une telle pratique soit définitivement bannie. " (fin de citation) !!!!!!!!!!
Vraiment hein, on croirait lire des comptes de Noel!
Je suis désolé, mais je ne crois pas à un risque de dictature des juges!
Vraiment navrant, mais bonne journée, quand-même!

4.Posté par Madiama NDIAYE le 09/08/2012 14:21 | Alerter
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Dommage pour notre cher petit pays, pauvre, sous développé, excessivement endetté et pris entre le marteau des politiques et l'enclume des magistrats.Mais quand l'heure sonnera, par la grâce du TOUT PUISSANT ALLAHU subhanahu wa tahala, les pendules seront remises à la bonne heure. Si la plupart des hauts reponsables d'un pays en arrivent à ne se soucier que de la maximisation de leurs biens au dértriment de la population globale, il ya là un risque potentiel d'implosion avec des conséquences insoupçonnées pour la nation.

5.Posté par Madiama NDIAYE le 09/08/2012 15:12 | Alerter
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Peut- être faut-il rappeler quelques indicateurs clés de la situation actuelle du Sénégal notamment:
- un PIB à 509 056 CFA en dépit de l'effet produit par les grosses fortunes, soit 42 424 F CFA par personne et par mois soit 1 414 F par jour pour faire face aux besoins primaires et secondaires
- un niveau d'endettement extrême
- un indice de développement humain (IDH) de loin inférieur à 1 (0,459)
- un taux d'analphabétisme de 58,2 % et 67,1 % pour les femmes
- une mortallité infantile de 47 pour mille
- une couverture sanitaire déficitaire en termes d'infrastrucures, de pesonnels qualifiés et plateau technique
- un faible taux d'activité ou fort taux de chômage
- une couverture alimentaire annuelle estimée à 33 % en milieu rural
....
C'est bien dans ce pays où nous sommes.

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