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La corruption au Sénégal : une endémie nourrie et entretenue au sommet de l’Etat. (Par Mody Niang)


La corruption au Sénégal : une endémie nourrie et entretenue au sommet de l’Etat. (Par Mody Niang)
L’opacité dans la gestion des deniers publics, un dénominateur commun aux socialistes et aux libéraux’’, tel est le titre que j’ai donné au chapitre VI de mon livre ‘’Me Wade et l’alternance : le rêve brisé du Sopi’’ (L’Harmattan, Paris, juin 2005). Voilà bientôt soixante ans, en effet, que nous sommes très mal gouvernés. Ce qui nous vaut notre place peu enviable parmi les pays les plus pauvres et les plus endettés du monde. Une des manifestations de cette mal gouvernance qui nous colle à la peau, la corruption, vit ses plus jours depuis le 1er avril 2000, avec les deux gouvernances jumelles du vieux président-politicien et de son successeur. Ce texte se propose de passer en revue, pour rappel, l’odyssée de ce mal endémique tout au long de cette longue période plus de dix-neuf (19) ans. Dns notre pays, il faut toujours rappeler, et encore, et encore. 

Donc, nous rappelons que, au soir du 3 avril 2000, à l’occasion de son premier message à la Nation, le tout nouveau président de la République, celui que j’appellerai plus tard le président-politicien déclarait : «  Ma décision de procéder à des audits de l’Etat et de ses démembrements, des sociétés d’Etat et des sociétés nationales dans lesquelles l’Etat détient des intérêts, ainsi que des collectivités locales, a eu un écho favorable dans l’opinion nationale. Je dois au peuple sénégalais de faire la lumière sur la gestion économique en remontant aussi loin dans le temps que le permet la loi, en précisant que ce droit à l’information ne se confond pas avec celui de sanction. » « J’ai indiqué, poursuivait-il, à chaque ministre ce que j’attends concrètement de lui. Je veux que le gouvernement du nouveau régime soit différent de celui de l’ancien régime qui était celui des improvisations et des approximations. Je leur ai dit tout aussi clairement que je veux un gouvernement de ministres vertueux qui mettent en avant et exclusivement l’intérêt de la Nation. Je ne saurais tolérer les pratiques de commissions plus ou moins occultes, de corruption ou de concussion sous quelque forme que ce soit. Je veux que soient bannies de l’espace sénégalais ces pratiques qui, dans ma  pensée, appartiennent déjà au passé. » Je n’ai rien inventé : c’est bien le nouveau président de la République qui s’exprimait ainsi. 
Trois mois plus tard, revenant d’un long périple dont il avait le secret et qui l’avait conduit successivement en Mauritanie, en Egypte et en France, il déclarait encore, à propos des audits qui avaient démarré : « Les premiers résultats reçus sont si effarants que j’ai demandé que les dossiers soient transmis à la justice. » On connaît la suite : les gestionnaires de deniers publics qui étaient les plus lourdement épinglés, adhérèrent au PDS et devinrent qui ministres, qui députés, qui présidents de conseil d’administration. Je m’en suis longuement indigné dans le chapitre VI de mon livre que j’ai cité dans l’introduction de ce texte. 
Nous sachant enclins à vite oublier, l’homme reviendra nous tympaniser, six ans après, avec son ‘’attachement’’ à la transparence dans la gestion des affaires publiques. Mettant à profit son message à la Nation le 3 avril 2010, il nous jetait encore de la poudre aux yeux en ces termes : « Je voudrais, ici, réaffirmer avec force mon attachement à l’observation stricte des règles de transparence et d’éthique dans la gestion des affaires publiques. Chacun doit assumer la pleine responsabilité de ses actes. Les corps de contrôle poursuivront leurs missions et les manquements dûment constatés seront sanctionnés sans faiblesse. Á cet effet, j’ai transmis au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, le rapport annuel de la Commission de Lutte contre la non Transparence, la Corruption et la Concussion, en lui demandant d’en tirer toutes les conséquences (…) ». 

Pendant douze longues années, tout dans ses actes de tous les jours, était aux antipodes de ses engagements à lutter contre la corruption. D’ailleurs, il s’emportait rageusement dès qu’on abordait avec lui les questions de corruption. Il en voulait particulièrement aux membres du ‘’Forum civil’’, connus à l’époque pour la traque sans merci qu’ils menaient contre la mal gouvernance en général et la corruption en particulier. Il les appelait d’ailleurs ‘’politiciens encagoulés’’. Mais, il ne pouvait pas continuer de toujours nier l’évidence, les circonstances (évidentes) l’obligeant parfois à admettre, la mort dans l’âme, l’existence de la corruption au Sénégal. Mais, chaque fois que c’était le cas, il jouait sur les mots et relativisait : « Il y a la corruption au Sénégal, lui arrivait-il de rétorquer, mais le Sénégal n’est pas un pays corrompu. Et celui qui le dira, je l’attaquerai au tribunal. »  Au chapitre V de mon livre ‘’Qui est cet homme qui dirige le Sénégal ?’’, j’ai réagi à cette menace en faisant remarquer ce qui suit : « Il attaquera alors beaucoup de monde au tribunal, à commencer par moi-même, puisque je considère le Sénégal comme un pays corrompu, corrompu sur le plan de la gestion des affaires publiques, mais aussi, plus gravement, corrompu sur celui des mœurs, des comportements et des mentalités. » 

A la limite, le vieux président-politicien  considérait la corruption comme quelque chose de tout à fait normal et naturel. N’est-ce pas lui qui déclarait, à propos de la corruption qui a éclaboussé en un moment des magistrats sénégalais, ce qui suit : « C’est un cas isolé qu’on a tendance à généraliser. Il ne remet pas en cause l’intégrité reconnue de nos magistrats. » C’était lors de la Rentrée solennelle des Cours et Tribunaux le 10 janvier 2007. N’est-ce pas lui, toujours lui, qui donnait cette réponse renversante à une question d’un journaliste sur les actes de corruption : « Ces scandales que l’on dénonce sont une preuve de vitalité démocratique. Ils existent dans tous les pays. Ce sont des accidents de parcours qui finiront par être absorbés dans l’évolution du Sénégal. » On était toujours ce 10 janvier 2007 et les hauts magistrats présents devraient être normalement ahuris, s’ils n’étaient pas du même avis que lui. Des années après, nous nous demandons légitimement si ce n’est pas vraiment le cas. 

Le même vieux politicien pur et dur, présidant les travaux de l’Assemblée générale de l’Association nationale des présidents de Conseils ruraux, le 9 janvier 2007 au Méridien Président (cf. le journal parlé de la Tv ‘’nationale’’ de 20 heures de ce jour) leur lançait, à la stupeur générale de toute l’assistance : « Vous vendez des terres sans en avoir la compétence. Si j’avais suivi la loi, certains d’entre vous iraient en prison. » Le mardi 19 mai 2009, il reviendra à la charge pour les rappeler encore à l’ordre de façon plus surprenante encore : « Arrêtez de vendre des terres. Trop de présidents de communautés ont vendu des terres à des étrangers. Je ne vais plus arrêter les dossiers judiciaires. Vous n’avez pas le droit de vendre des terres. » 
  
« Si j’avais suivi la loi . . .  », « Je ne vais plus arrêter les dossiers judiciaires . . .  ». Que c’est terrible, de la bouche du ‘’Gardien de la Constitution’’ sensé, partant, protéger les lois ! Il est vrai qu’il pouvait tout se permettre, conscient qu’il régnait sur un peuple qui donnait l’impression d’avoir perdu sa capacité d’indignation, s’il en eut jamais d’ailleurs. 
  
Notre vieux politicien ne s’arrêtait pas d’ailleurs en si bon chemin. En tournée ‘’économique’’ dans le Département de Mbour le lundi 17 mars 2009, donc à moins d’une semaine des élections locales du 22 mars de cette année-là où il s’était fortement impliqué, il réunit, en ‘’séance de travail’’, à la préfecture, les frères ennemis libéraux et leurs responsables, pour recoller les morceaux avant la date du scrutin. Ces derniers s’accusant mutuellement de sorcellerie, il trancha net les accusations et contre-accusations en ces termes : « Taisez-vous ! D’ailleurs, n’eût été ma magnanimité, vous devriez vous retrouver tous derrière les barreaux.» Ailleurs qu’au Sénégal, personne n’accorderait plus le moindre crédit à la ‘’volonté affichée’’ par cet homme de lutter contre la corruption et toutes les autres forfaitures qui étaient consubstantielles à sa gouvernance meurtrie. En tout cas les gestionnaires de deniers publics ne s’y trompaient pas : ils savaient parfaitement qu’il faisait du cinéma ; ils avaient donc tout le loisir de se servir à leur convenance des deniers publics, et ils ne s’en privaient pas le moins du monde. Ils savaient surtout que la Justice, comme d’habitude, resterait indifférente à leurs forfaits. Ils étaient également convaincus que l’Inspection générale d’État (IGE) ne les dérangerait pas dans leur festin et que, même si par extraordinaire elle jetait un coup d’œil sur leur gestion, le rapport d’inspection serait mis dans les placards par le vieux président-politicien. Pour coller à l’actualité, il gémirait sous son coude, comme de nombreux autres. 

La gouvernance de ce vieux président-politicien était donc une succession de scandales, aussi graves les uns que les autres, et dont le moins grave lui vaudrait la destitution ou la prison dans toute grande démocratie. Luis Lula Da Silva, son successeur Dilma Roussef, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, etc., n’ont pas commis autant de forfaits que lui. Ils en étaient d’ailleurs très loin. On peut citer, parmi ces scandales gravissimes, la rocambolesque rénovation de l’avion de commandement ‘’La Pointe de Sangomar’’, l’Affaire ‘’Sénégal Pêche’’, la nébuleuse gestion des fonds spéciaux avec ses nombreux comptes alimentés en dehors de la Loi de finance, l’Odyssée des 15 millions de dollars de Taïwan carrément détournés, le ‘’Protocole de Reubeuss’’ (une réalité dont personne ne doute plus), le monstrueux montage financier du monument dit de la Renaissance africaine, son insoutenable boulimie foncière à nulle autre pareille, etc. Bizarrement, le Sénégal et les Sénégalais étant ce qu’ils sont, ce politicien pur et dur, qui a entretenu et nourri au grand jour la corruption et nombre d’autres forfaits pendant sa nauséabonde gouvernance, draine encore des foules, sept ans après qu’il a quitté le pouvoir. 

Malheureusement, en accordant leurs suffrages à son successeur le 25 mars 2012, les électeurs ont inconsciemment reconduit la même gouvernance, avec les mêmes tares dont, en particulier la corruption qui, comme entre avril 2000 et avril 2012, se porte comme un charme. Le successeur du vieux président-politicien avait fait les mêmes promesses, pris les mêmes engagements. Elu, il les confirme formellement dans ses premières déclarations que nous rappelons, nos compatriotes oubliant très vite. Ainsi, dans son premier message à la Nation le 2 avril 2012. Il affirmait notamment, avec force : « S'agissant de la gouvernance économique, je serai toujours guidé par le souci de transparence et de responsabilité dans la gestion vertueuse des affaires publiques. Je mets à ma charge l'obligation de dresser les comptes de la Nation et d'éclairer l'opinion sur l’état des lieux ». Dans cette perspective, il ajoute : « Je compte restituer aux organes de vérification et de contrôle de l'État la plénitude de leurs attributions. Dans le même sens, l'assainissement de l'environnement des affaires et la lutte contre la corruption et la concussion me tiennent particulièrement à cœur. » Il se fait plus menaçant encore et lance en direction des gestionnaires de deniers publics : « À tous ceux qui assument une part de responsabilité dans la gestion des deniers publics, je tiens à préciser que je ne protégerai personne. Je dis bien personne. » Et il engageait alors fermement le Gouvernement « à ne point déroger à cette règle ». 

Arrêtons-nous seulement sur son engagement à « restituer aux organes de vérification et de contrôle de l'État la plénitude de leurs attributions ».Rappelons que, dans cette perspective, il avait fait voter deux lois importantes : la Loi n° 2012-22 du 17 décembre 2012 portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques et celle n° 2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l’Office nationale de lutte contre la fraude et la concussion (OFNAC). A propos de cet Office, il avertissait sans ambages  ses camarades républicains lors de l’université d’hivernage tenue à Mbodiène en 2012. « L’OFNAC est pour nous, et la Cour de répression de l’Enrichissement illicite (CRÉI) pour les autres », leur avait-il lancé, non sans répéter qu’« il ne protègerait personne ». On connaît la suite pour la CRÉI. Après Karim Wade, le Procureur spécial voulut passer à la vitesse supérieure, en convoquant les deux suivants de la liste des 25. Contre toute attente, il est relevé en pleine audience. Pourtant, ce n’est un secret pour personne que les 24 autres compagnons du vieux président-politicien sont loin d’être blancs. Même s’ils doivent bénéficier de la présomption d’innocence. Pour ce qui les concerne d’ailleurs, la présomption de culpabilité conviendrait mieux, si elle existait dans le Code pénal sénégalais. 

L’OFNAC ne connut pas un meilleur sort. Sa présidente fut braquée dès que, de l’autre côté de la barrière, on se rendit compte qu’elle entendait exercer la plénitude des compétences que lui conférait la loi. Rappelons que la Présidente et les douze membres de l’Office ont été installés le 11 août 2014. Après 18 mois de travail dans des conditions qui n’étaient pas des meilleures, la Présidente a transmis, sur décision de l’Assemblée générale des membres, sept (7) rapports au Procureur de la République de Dakar et un (1) à celui de Louga, ce dernier ayant traité rapidement le dossier qu’il a reçu. A ces huit rapports se sont ajoutés trois (3) autres que la Présidente n’avait pas eu le temps de transmettre, son éviction étant intervenue entre-temps. Mais ils avaient été déjà examinés par l’Assemblée générale, qui avait aussi décidé de leur transmission au Procureur de la République. Les trois rapports en instance furent transmis par sa remplaçante. Parmi ces rapports figure celui, très lourd, concernant les fausses quittances au niveau de certains centres fiscaux de Dakar. Ce sont donc onze (11) rapports relatifs à des infractions à la loi pénale bouclés et transmis, que l’équipe de l’ancienne Présidente avait à son actif. 

Quatre autres rapports pour lesquels l’Assemblée générale avait demandé des investigations complémentaires, étaient en cours de traitement. En outre, de nombreuses enquêtes étaient en cours, notamment celles sur les Affaires Petro-Tim et Bigtogo, la spoliation foncière au niveau de la Corniche, la gestion des 40 % du budget de fonctionnement alloués au secteur de l’Education, la caisse d’avance du COUD, etc. Arrêtons-nous sur cette fameuse caisse d’avance, devant laquelle celle de la Mairie de Dakar est une naine. Après la transmission du premier dossier concernant la gestion du Directeur général décriée par une plainte, la Présidente avait établi un ordre de mission pour enquêter sur cette fameuse caisse d’avance qui avait attiré l’attention des premiers missionnaires. Le DG prenait 150 millions de francs CFA tous les dix jours pour l’achat de légumes, soit 450 millions tous les mois.  

Avec cette caisse, le DG s’est permis tous les abus. Il a notamment acheté un kg de haricot pour 4500 francs et 300 kg de poivre tous les mois (de quoi ‘’poivrer’’ tout Dakar). La mission avait également débusqué d’énormes autres cas de fraude et de corruption dans la restauration, ainsi que dans la réalisation d’infrastructures. Il fallait arrêter rapidement cette mission qui allait vraiment très loin. Le décret du 25 juillet 2016 est ainsi tombé, à bon escient pour le DG qui allait être bombardé, huit mois après, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, pendant que l’ancien Maire de Dakar croupit encore en prison. 

Le dossier de cet homme surprotégé dort sur la table du Procureur de la République, à côté de 17 autres transmis par l’OFNAC, dont 11 par l’ancienne Présidente, en 18 mois. Sur la même table, gisent 198 autres transmis par la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF). Les rapports de l’Inspection générale d’Etat (IGE), dont celui sur l’Affaire Petro-Tim, connaissent le même sort, sous le lourd coude du président-politicien. En particulier, les ‘’rapports publics sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes’’ ne sont plus publiés. Le dernier à l’être, c’est celui de 2015. Le président-politicien se serait farouchement opposé à la publication des suivants et, principalement à celle de 2016. On peut se demander légitimement d’ailleurs, si l’IGE continue à les produire. 

Voilà où nous en sommes dans notre pauvre pays, près de soixante ans après  son accession à ladite souveraineté internationale. Alors que, que dans nombre d’autres pays, on mène une lutte sans merci contre la corruption, les détournements de deniers publics, la concussion, etc., chez nous, les plus hautes autorités, avec en tête le président de la République, les entretiennent au grand jour, en garantissant l’impunité à leurs auteurs. L’Affaire Petro-Tim et ce gênant rapport de l’IGE en sont une parfaite illustration. Ce rapport de l’IGE en particulier, qui devrait mettre mal à l’aise ses auteurs, comme le Vérificateur général et l’ensemble des inspecteurs généraux d’Etat. 

Dakar, le 8 juillet 2019 
Mody Niang 


Mardi 9 Juillet 2019 - 08:28





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