
Le Pastef, porté par un souffle populaire inédit, a été propulsé au sommet de l'État, avec une légitimité rare dans l'histoire politique du Sénégal. Cette ascension, fruit d'une mobilisation collective, d'une colère ancienne, d'une espérance mûrie dans les marges, s'est faite sur la promesse d'un renouveau radical. Non pas seulement un changement de visages, mais une refondation des pratiques, une réhabilitation de la morale publique, une restauration du sens du bien commun. C'est sur ce socle que le drap blanc a été déplié, avec solennité, sur les institutions de la République.
Mais plus le drap est blanc, plus la tache, si petite soit-elle, devient visible, criante, dramatique. Cette pureté brandie devient une norme étouffante. Les plus vertueux eux-mêmes, deviennent suspects à la moindre rumeur, au moindre soupçon d'opacité. La vertu devient intransigeance, la vigilance devient soupçon, la transparence devient lumière crue. Chacun, au sein du parti, devient non seulement garant de l'idéal, mais aussi possible fauteur de trouble. Et dans cet état de veille permanente, de peur du faux-pas, l'action politique se raidit, se retient, se complique.
Le pouvoir, lui, ne s'offre jamais nu. Il est stratagème, négociation, compromis. Gouverner, c'est gérer l'ambiguïté, c'est organiser l'imparfait, c'est composer avec des forces sociales diverses, parfois contradictoires. Le drap blanc, en exigeant une clarté parfaite, peut alors se révéler handicapant. Non parce qu'il est trop propre, mais parce qu'il suppose une irréprochabilité, que nulle organisation humaine ne peut garantir sur la durée. Le risque est alors de sombrer dans le déni, ou pire, dans la dissimulation. L'obsession de la propreté devient peur de la tache, donc peur de l'action.
Déjà, les premiers faux plis apparaissent. Des voix s'élèvent, inquiètes, parfois amères, devant certains choix, certaines nominations, certaines lenteurs. Le citoyen, jadis fervent, devient observateur, scrutateur. Il ne guette plus le miracle, il attend le faux-pas. Et ce regard, s'il n'est pas accompagné d'une pédagogie de l'action publique, risque de se transformer en désillusion. Car le peuple n'a pas élu des saints, mais des femmes et des hommes chargés d'une mission. Et si cette mission se résume à préserver la blancheur du drap, elle oubliera l'essentiel : changer la vie.
Le syndrome du drap blanc, c'est donc cela : la volonté de rester pur dans un monde impur, de gouverner sans tacher son idéal, d'administrer sans compromis. C'est noble. C'est rare. Mais c'est risqué. L'idéal pastéfien, s'il ne s'incarne pas dans une gestion stratégique, souple et lucide, risque de se retourner contre lui-même. Le danger n'est pas la tache elle-même, mais l'incapacité à l'assumer, à la laver, à l'expliquer. Le peuple peut pardonner l'erreur, il ne pardonne pas le mensonge. Il comprend la difficulté, mais il refuse l'arrogance de l'infaillibilité.
Peut-être faut-il revoir la symbolique. Non pour salir le drap, mais pour le comprendre autrement. Un drap sert à couvrir, à protéger, à accueillir le corps endormi ou blessé. Il peut être lavé, réparé, recousu. Il n'est pas fait pour rester suspendu dans l'air, figé dans une blancheur mortelle. Il vit, il palpite, il respire avec ceux qu'il abrite. Le drap blanc du Pastef doit apprendre à vivre. À se plier, sans se renier. À se salir, sans se corrompre. À se laver sans se dissoudre.
C'est à cette condition que la dynamique actuelle pourra s’inscrire dans la durée. Que l’utopie d’hier ne devienne pas le carcan de demain. Le sociologue que je suis, regarde ce drap avec admiration, mais aussi avec inquiétude. Car je sais que l'histoire est faite de compromis, de renoncements partiels, de tensions fécondes. Ce n’est pas un défaut, c’est la condition humaine. Et la politique, si elle veut rester au service de l’humain, devra l’accepter.
Alors que le Sénégal s’avance sur cette ligne de crête entre espérance et exigence, il lui faudra cultiver une éthique du réel. Refuser la compromission, oui, mais savoir composer avec le réel. Faire de la vertu, un moteur, non une prison. Faire de la probité une culture, non une rhétorique. Et faire du pouvoir, un service, non une scène d’exhibition morale. Le drap blanc, une fois habité avec sagesse, pourra alors devenir un tissu de liens, une matière vivante, porteuse de chaleur et de confiance.
Car au fond, c’est cela que le peuple attend : non des anges, mais des êtres humains, dignes, justes, capables d’agir avec clarté, même dans l’ombre. Capables de garder leur drap propre, non parce qu’ils évitent tout contact, mais parce qu’ils savent le laver, le porter et le transmettre, intact et vivant, aux générations suivantes.
Dr. Moussa Sarr
CEO, Lachine Lab L'Auberge Numérique
Chercheur principal
Mais plus le drap est blanc, plus la tache, si petite soit-elle, devient visible, criante, dramatique. Cette pureté brandie devient une norme étouffante. Les plus vertueux eux-mêmes, deviennent suspects à la moindre rumeur, au moindre soupçon d'opacité. La vertu devient intransigeance, la vigilance devient soupçon, la transparence devient lumière crue. Chacun, au sein du parti, devient non seulement garant de l'idéal, mais aussi possible fauteur de trouble. Et dans cet état de veille permanente, de peur du faux-pas, l'action politique se raidit, se retient, se complique.
Le pouvoir, lui, ne s'offre jamais nu. Il est stratagème, négociation, compromis. Gouverner, c'est gérer l'ambiguïté, c'est organiser l'imparfait, c'est composer avec des forces sociales diverses, parfois contradictoires. Le drap blanc, en exigeant une clarté parfaite, peut alors se révéler handicapant. Non parce qu'il est trop propre, mais parce qu'il suppose une irréprochabilité, que nulle organisation humaine ne peut garantir sur la durée. Le risque est alors de sombrer dans le déni, ou pire, dans la dissimulation. L'obsession de la propreté devient peur de la tache, donc peur de l'action.
Déjà, les premiers faux plis apparaissent. Des voix s'élèvent, inquiètes, parfois amères, devant certains choix, certaines nominations, certaines lenteurs. Le citoyen, jadis fervent, devient observateur, scrutateur. Il ne guette plus le miracle, il attend le faux-pas. Et ce regard, s'il n'est pas accompagné d'une pédagogie de l'action publique, risque de se transformer en désillusion. Car le peuple n'a pas élu des saints, mais des femmes et des hommes chargés d'une mission. Et si cette mission se résume à préserver la blancheur du drap, elle oubliera l'essentiel : changer la vie.
Le syndrome du drap blanc, c'est donc cela : la volonté de rester pur dans un monde impur, de gouverner sans tacher son idéal, d'administrer sans compromis. C'est noble. C'est rare. Mais c'est risqué. L'idéal pastéfien, s'il ne s'incarne pas dans une gestion stratégique, souple et lucide, risque de se retourner contre lui-même. Le danger n'est pas la tache elle-même, mais l'incapacité à l'assumer, à la laver, à l'expliquer. Le peuple peut pardonner l'erreur, il ne pardonne pas le mensonge. Il comprend la difficulté, mais il refuse l'arrogance de l'infaillibilité.
Peut-être faut-il revoir la symbolique. Non pour salir le drap, mais pour le comprendre autrement. Un drap sert à couvrir, à protéger, à accueillir le corps endormi ou blessé. Il peut être lavé, réparé, recousu. Il n'est pas fait pour rester suspendu dans l'air, figé dans une blancheur mortelle. Il vit, il palpite, il respire avec ceux qu'il abrite. Le drap blanc du Pastef doit apprendre à vivre. À se plier, sans se renier. À se salir, sans se corrompre. À se laver sans se dissoudre.
C'est à cette condition que la dynamique actuelle pourra s’inscrire dans la durée. Que l’utopie d’hier ne devienne pas le carcan de demain. Le sociologue que je suis, regarde ce drap avec admiration, mais aussi avec inquiétude. Car je sais que l'histoire est faite de compromis, de renoncements partiels, de tensions fécondes. Ce n’est pas un défaut, c’est la condition humaine. Et la politique, si elle veut rester au service de l’humain, devra l’accepter.
Alors que le Sénégal s’avance sur cette ligne de crête entre espérance et exigence, il lui faudra cultiver une éthique du réel. Refuser la compromission, oui, mais savoir composer avec le réel. Faire de la vertu, un moteur, non une prison. Faire de la probité une culture, non une rhétorique. Et faire du pouvoir, un service, non une scène d’exhibition morale. Le drap blanc, une fois habité avec sagesse, pourra alors devenir un tissu de liens, une matière vivante, porteuse de chaleur et de confiance.
Car au fond, c’est cela que le peuple attend : non des anges, mais des êtres humains, dignes, justes, capables d’agir avec clarté, même dans l’ombre. Capables de garder leur drap propre, non parce qu’ils évitent tout contact, mais parce qu’ils savent le laver, le porter et le transmettre, intact et vivant, aux générations suivantes.
Dr. Moussa Sarr
CEO, Lachine Lab L'Auberge Numérique
Chercheur principal