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Ousmane Sembène fut un grand pionnier des lettres et du cinéma africains


Ousmane Sembène fut un grand pionnier des lettres et du cinéma africains
Il y a dix ans, le 09 juin 2007, disparaissait à Dakar, à l’âge de 84 ans le cinéaste et écrivain sénégalais Ousmane Sembène. Autodidacte, l’homme avait été maçon, tirailleur, docker, avant de se lancer dans l’écriture littéraire et cinématographique, afin d’imprimer sa marque sur les combats essentiels de son temps pour la justice, la liberté et la dignité de son peuple. Il a laissé derrière lui une œuvre impressionnante, empreinte d’engagement et d’indignation féconds, qui a influencé plusieurs générations d’intellectuels sénégalais et africains.
Faisant le récit du « making of » de son livre Ousmane Sembène, une conscience africaine (Présence Africaine, 2010), seule biographie à ce jour consacrée au romancier-cinéaste sénégalais, son auteur, le professeur Samba Gadjigo, raconte la difficulté qu’il avait eue pour s’approcher du protagoniste de son livre, lorsqu’il a commencé à travailler sur le projet. Professeur de littérature africaine aux Etats-Unis, Gadjigo avait envoyé en 1989 un fax invitant Ousmane Sembène à venir parler à ses étudiants de ses combats pour la justice et la dignité des plus démunis.
« Je ne suis pas là pour assouvir la curiosités des universitaires américains », fusa la réponse typique de l’artiste, suivie d’une invitation en retour : « Si vous voulez participer aux combats pour la cause africaine, sachez que ces combats se déroulent ici, en Afrique ». Gadjigo fit immédiatement sa valise et se rendit à Dakar pour présenter de vive voix au maître son projet. Il fallait alors tout l’art et le doigté du futur biographe pour persuader l’écrivain de faire le voyage jusqu’à Mount Holyoke College, dans l’Etat du Massachusetts. Sembène finit par accepter l'invitation et put se rendre compte devant les amphithéâtres pleins à craquer que le combat pour la liberté en Afrique passait aussi par les campus universitaires américains.
Pêcheur de père en fils
Ainsi était Ousmane Sembène, tout feu tout flamme. Considéré de son vivant comme le plus grand cinéaste africain et l’un des romanciers les plus importants du continent, l’homme n’était aucunement prédestiné à cette éminente carrière qui fut la sienne. Son destin était en effet tout tracé quand, en 1923, il vint au monde, à Ziguinchor, dans la verte Casamance, dans le sud du Sénégal.
Dans la famille Sembène, on était pêcheur de père en fils depuis des générations. La tradition ne pouvait que se perpétuer, mais c’était sans tenir compte des tempéraments individuels qui poussent parfois les fils de pêcheurs à se révolter   et à s’arracher à leur destin tout tracé. C’est ce qu'advint au fils de Moussa Sembène lorsque, comme le veut la légende, celui-ci se fit radier de l’école à l’âge de 13 ans, pour avoir giflé son professeur qui voulait l’obliger à apprendre le corse. A 15 ans, l’adolescent débarque à Dakar, suit de nombreuses formations les unes plus «rébarbatives » que les autres, avant d’être mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale. Tirailleur au sein de l’armée coloniale, il participe à la guerre au Niger, au Tchad, en Afrique du Nord et en Allemagne, puis revient au Sénégal lorsque la guerre est terminée.
A Dakar, il verra de ses propres yeux les humiliations infligées aux tirailleurs démobilisés. Il assiste également à la grande grève des cheminots du Dakar-Niger (1947), passée dans les annales comme la première grève en Afrique, qui a ébranlé l’appareil colonial. Ces événements lui serviront de source d’inspiration lorsqu’il écrira plus tard Les Bouts de bois de Dieu, son roman naturaliste à la Zola auquel le nom de Sembène est à tout jamais associé. Le livre fait partie aujourd’hui des grands classiques de la littérature africaine.
Le tournant
A la fin des années 1940, la décolonisation n’est toujours pas  à l’ordre du jour, au grand désespoir de la jeunesse africaine qui voit ses perspectives d’avenir s'évanouir. Le jeune Ousmane fuya le désespoir en s’embarquant clandestinement en 1948 pour la France. Les douze années suivantes qu’il va passer d’abord à Paris, puis à Marseille, constituent un tournant dans la vie de ce fils de pêcheur de Ziguinchor. Il travaille un temps comme mécanicien dans les usines Citroën à Paris, puis comme docker sur le port de Marseille.
Militant syndiqué, le jeune docker a la chance d’être pris en charge par les chefs locaux de la CGT (Confédération générale des travailleurs), syndicat qui au sortir de la guerre faisait la pluie et le beau temps dans le milieu ouvrier. Le Sénégalais s’initie au marxisme et participe à toutes les luttes syndicales. La France est alors en pleine guerre coloniale au Vietnam. Au nom de la fraternité des prolétaires du monde entier, Sembène participe avec ses confrères syndicalistes au blocage du port de Marseille pour empêcher l’embarquement d’armes destinées à l’Indochine. Parallèlement, il fréquente la bibliothèque du Parti communiste à Marseille, où il lit Balzac, Zola, Gorki, mais aussi les Africains-Américains dont les combats ont des résonances particulières pour cet Africain colonisé, qui fut lui-même dans son pays victime de nombreuses brimades et humiliations aux mains d’une administration coloniale raciste et cruelle.
Taraudé par l’envie de raconter sa propre expérience et de dénoncer les injustices dont il est témoin, Sembène se lance dans l’écriture de son premier roman Le Docker noir, dans lequel il dit son expérience de travailleur noir au port de Marseille, doublée d’une intrigue complexe mêlant le plagiat littéraire et la romance. Ce premier roman, publié en 1956, sera suivi d’autres romans et de recueils de nouvelles : O pays, mon beau peuple (1957), Les Bouts de bois de Dieu (1960), Voltaïque (1961), L’Harmattan (1963), Le Mandat (1964), Véhi-Cisoane (1964) et Xala (1973).
L’œuvre littéraire d’Ousmane Sembène, composée d’une dizaine de romans et d’essais, se caractérise par sa charge critique et son empathie pour les plus démunis. Elle fait une large place à l’engagement et au militantisme. C’est la réplique d’un des personnages du Docker noir qui résume le mieux la philosophie littéraire de ce romancier et conteur hors pair : « Tu aspires à devenir écrivain, tu n’en seras jamais un bon, tant que tu ne défendras pas une cause. Vois-tu, un écrivain doit aller de l’avant, voir les choses dans la réalité, ne point avoir peur de ses idées… détester les poètes et les peintres qui ne montrent que ce qui est beau, qui chantent la gloire du printemps, oubliant l’aigreur du froid… »
A cette époque de l’après-guerre, Ousmane Sembène n’est pas le seul Africain à prendre la plume. Les années 1950-60 voient émerger à la suite de la poésie de la négritude senghorienne de nouvelles voix qui s’expriment en prose, pour dire les espérances incarnées par les indépendances qui s’annoncent. Cette première génération de romanciers africains à laquelle appartient Ousmane Sembène, invente une littérature nouvelle, un néoréalisme à l’Africaine pour dire avec une économie de moyens peu commune les heurs et malheurs de leurs sociétés, sortant du joug colonial et promises à un avenir incertain.
En 1960, le Sénégal accède à l’indépendance, mettant fin à plusieurs décennies de colonisation française. Nombre d’intellectuels africains exilés rentrent au bercail afin de participer à la construction de leurs nations naissantes. Ousmane Sembène ne déroge pas à la règle. Ecrivain et intellectuel militant, il ne tardera pas à se rendre compte de la fragilité des espoirs suscités par « les Soleils des indépendances » dans un pays grevé par ses inégalités et ses maux traditionnels.
Dans ses romans, l’écrivain dénonce les déboires et les vicissitudes de la vie africaine postcoloniale, tout en prenant conscience du peu d’impact que la littérature peut avoir dans un pays où les livres imprimés ne circulent guère en l’absence de circuits liant l’écrivain à ses lecteurs par le biais de l’éditeur et du libraire. « Ousmane Sembène fut l’un de nos premiers auteurs à pointer du doigt la relation problématique entre l’écrivain africain et son public, explique Boniface Mongo-Mboussa, critique littéraire et spécialiste des lettres africaines. C’est ce qui explique sans doute qu’il se tourne vers le cinéma dans l’espoir de pouvoir toucher un plus large public. »
Retour sur les bancs de l’école
Persuadé en effet de pouvoir mieux se faire entendre par le biais de l’image, en particulier dans un pays où l’analphabétisme touchait à l'époque 80% de la population, Ousmane Sembène n’hésite pas, à 40 ans passés, à retourner sur les bancs de l’école pour apprendre la grammaire et les techniques de la narration cinématographique. En 1962, il décroche une bourse pour aller étudier le 7e art aux studios Gorki, à Moscou. De retour au Sénégal dès l’année suivante, il signe son premier court métrage, Borom Sarret, qui met en scène le quotidien d’un charretier, avant de connaître le succès trois ans plus tard, avec son premier long métrage La Noire de…, tiré d’un de ses recueils de nouvelles. Cette déchirante histoire d’une bonne sénégalaise qui suit en France le couple de coopérants qui l’employaient à Dakar et se donne la mort ne pouvant supporter la solitude, le mépris et la charge de travail, vaut à son réalisateur le prix Jean Vigo.
La filmographie d’Ousmane Sembène, riche d’une quinzaine de titres, courts et longs métrages compris, enjambe une carrière cinématographique longue de plus de quatre décennies, ponctuée de prix prestigieux et nombreuses récompenses nationales et internationales. Tout comme pour son œuvre littéraire, le cinéma du Sénégalais est empreint du sceau de colères et de révoltes contre les obscurantismes et les iniquités de la société sénégalaise, dont les victimes sont les couches les plus fragiles : ouvriers, femmes, colonisés... Pour autant, son cinéma ne se réduit pas à l’étude des cas, sur le modèle des films ethnographiques à la Jean Rouch. Un modèle dont Ousmane Sembène s’était distancié dès le début de sa carrière cinématographique, en concentrant ses efforts sur l’histoire et l’épaisseur psychologique des personnages. « Il ne suffit pas de dire, aimait-il répéter, qu’un homme que l’on voit marche, il faut savoir d’où il vient, où il va. »
Adaptés parfois de ses romans et ses nouvelles, les films les plus connus de Sembène ont pour titres Le Mandat (1968) qui dépeint l’hypocrisie et la cruauté des rapports sociaux dans l’Afrique contemporaine, Le Camp de Thiaroye (Grand Prix du Jury à Venise en 1988) où le cinéaste revient sur la tragédie des soldats noirs partant du massacre des tirailleurs sénégalais par des gradés français en 1945 et Moolaadé (Prix Un certain regard à Cannes en 2004), qui est une dénonciation de l’excision. Ce sont des films puissants et subtils qui ciblent avec véhémence les injustices sociales et politiques de leur temps, sans perdre pour autant l’humour, le goût pour le satirique et la poésie du quotidien qui caractérisent le style de ce romancier-cinéaste.
C’est sans doute le critique Boniface Mongo-Mboussa qui décrit le mieux la narration littéraire et cinématographique de l’auteur du Docker noir : « Il y a dans cette écriture apparemment simpliste et manichéenne, une volonté de toujours donner à voir la complexité du réel, avec une lucidité et une intransigeance qui font souvent défaut aux écrivains africains contemporains. »
Filmographie
Borom Sarret (court-métrage, 1963), L’empire Songhay (court-métrage documentaire, 1963), Niaye (moyen-métrage, 1964), La Noire de… (long-métrage, 1966), Le Mandat (long-métrage, 1968), Taaw (court-métrage, 1970), Ermitaï (long-métrage, 1971), Xala (long-métrage, 1974), Ceddo (long-métrage, 1976), Camp de Thiaroye (long-métrage, 1987), Guelwaar (long-métrage, 1992), Faat Kiné (long-métrage, 2000), Moolaadé (2004)
Bibliographie
Le Docker noir (roman, 1956), O pays, mon beau peuple (roman, 1957), Les Bouts de bois de Dieu (roman, 1960), Voltaïque (nouvelles, 1961, L’Harmattan (roman, 1963), Le Mandat (récit 1964), Xala (récit, 1973), Le Dernier de l’Empire (roman, 1981), Niiwam, suivi de Taaw (nouvelles, 1987)


Vendredi 9 Juin 2017 - 09:13





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