Tidjane Kassé, journaliste : « Le profil de Tamsir Jupiter Ndiaye influence le traitement de l’homosexualité dans les médias »

Le Journaliste Tidjane Kassé du groupe Wal Fadjri, donne sa lecture sur le traitement fait par les médias de l’affaire opposant le Chroniqueur Tamsir Jupiter Ndiaye et Matar Diop Diagne, impliqués dans une histoire d’homosexualité. Selon Tidjane Kassé, la personnalité de Tamsir Jupiter Ndiaye joue sur la façon dont la presse traite cette l’information sur l’homosexualité. Il y a plus de réserve de la part des journalistes. Entretien !
Le traitement de l’information sur l’homosexualité a-t-il varié, selon vous, avec l’affaire de Tamsir jupiter Ndiaye ?


Je pense que le traitement sur le sujet a varié. Si on prend les différentes phases dans lesquelles l’homosexualité a été placée au devant des médias, il y a une différence entre le traitement que la presse fait de l’affaire Tamsir Jupiter Ndiaye et les autres faits liés à l’homsexualité qui ont été couverts ces dernières années. Si l’on remonte à 2009 avec l’affaire des homosexuels arrêtés à Mbao, par exemple, et d’autres faits qui ont suivi, les médias étaient beaucoup plus violents contre l’homosexualité et contre les homosexuels. Dans l’affaire Tamsir Jupiter Ndiaye, je note qu’il y a un peu de réserve de la part de la presse. J’étais absent du Sénégal, la semaine dernière, quand l’affaire éclatait. Et je ne sais pas comment les radios et les télévisions en ont parlé. Mais en lisant des journaux, je me rends compte que, souvent, les confrères se sont limités aux faits. J’ai vu peu de commentaires ou de jugements tendant à la lapidation des homosexuels comme naguère. J’ai vu quelques articles qui  fustigeaient. Mais si je compare avec l’affaire Cheikh Yérim Seck – les faits n’étant pas les mêmes par ailleurs - je sens que les qualificatifs et les formules utilises ici ou là étaient plus sévères. 
Est-ce à dire que les médias ont pris en compte son statut d’homme de presse ? 
Sans doute. Mais je pense aussi que l’effet de surprise a joué avec la découverte de l’orientation sexuelle de Tamsir Jupiter Ndiaye. Au début, on a senti de la prudence dans l’évocation des faits. Je pense que ceux qui sont dans les médias, ont tissé des relations amicales ou confraternelles avec lui. Et ils ont eu du mal à se situer par rapport à l’affaire car, aussi critique qu’on puisse être, quand un journaliste un journaliste se trouve affecté, d’une manière ou d’une autre, par une information, le traitement n’est plus le même que quand il y a distance. Donc, tout cela a joué.
Mais je pense qu’il y a eu du dépit dans la presse. On pensait que l’homosexualité c’est les autres.  Voir un homme des médias avoir une orientation sexuelle qui a fait l’objet de commentaires acerbes, au point qu’on a pu accuser la presse d’avoir accru les sentiments homophobes et cultivé la violence contre les homosexuels, a pu affecter certains. J’ai entendu des confrères se dire touchés dans leur propre personnalité. 
Qu’est-ce que l’affaire Tamsir Jupiter Ndiaye peut changer dans le regard que les gens ont sur les hommes de médias ? 
Je ne pense que cela puisse changer quelque chose dans l’image que les gens ont des journalistes. Ce n’est pas le travail des journalistes qui est mis en cause. C’est une affaire de mœurs, une affaire privée qui concerne un journaliste. S’il s’agissait d’une affaire relative au professionnalisme et à ce qui le fonde, la profession aurait pu en être affectée. Il ne faut pas confondre les deux espaces. Il y a l’homme des médias d’un côté et la vie privée de Tamsir Jupiter Ndiaye de l’autre.
Maintenant, il y aura évidemment des critiques contre les journalistes au regard du fait que nous passons pour des donneurs de leçons. Les gens peuvent nous dire «vous aussi». Mais l’homosexualité est un fait social, pas lié à une profession ou à une autre. Par ailleurs, je dois dire qu’écrire un article ce n’est pas donner des leçons de morale, ce n’est pas s’enfermer dans des valeurs. C’est informer, chercher la vérité. 
On a longtemps accusé la presse d’avoir  participé à intensifier l’homophobie au Sénégal. Est-ce à tord ou à raison ? 
Le traitement de l’homosexualité dans les médias a évolué, ces dernières années.  J’ai fait une étude sur la question pour le compte d’une organisation qui travaille dans le domaine du Sida. On a beaucoup accusé les journalistes d’enflammer la question, mais le constat est que si les journalistes versent tellement dans les commentaires, c’est que l’information concernant l’homosexualité n’est pas accessible. Faute de source pour documenter les articles, les journalistes versent souvent dans les commentaires qui reflètent ses sentiments, ses croyances, ses valeurs. Mais avant ce qui s’est passé en 2008-2009 avec les affaires de Mbao et les arrestations à Mbour, il y a eu le procès Maniang Kassé vers 1998-99 (je ne me souviens plus précisément) contre un chef d’entreprise sur fond d’homosexualité. La presse l’avait largement couvert, sans qu’il n’y ait vague d’homophobie dans le pays. Durant la même période, il y a eu un défilé d’homosexuels et de travestis à Saly, dont les médias avaient beaucoup parlé, sans créer un déchainement de violence. Donc, il faut relativiser la responsabilité de la presse et lier ce qui se passe à des contextes sociopolitiques déterminés. 
Avec l’affaire Tamsir Jupiter Ndiaye, qu’est-ce qui pourrait changer dans le traitement de l’information sur l’homosexualité ? 
L’image qu’on a du fait homosexuel peut changer. Mais je ne pense pas que le traitement et la répulsion qui existe contre cette orientation sexuelle puissent changer avec cette affaire.  Certes les faits ont changé d’acteurs. Ces dernières années, les affaires concernaient des personnes anonymes, qu’on dit perverties par l’Occident, attirées par le gain facile, dévoyées, etc. Ce n’est pas l’image qu’on avait de Tamsir Jupiter Ndiaye. On parle de réseaux, de Vip, de nébuleuse, mais sans jamais mettre un visage sur une affaire. Ce qui se passe peut donc changer les regards. Je n’étais pas à Dakar, mais je me demande si on a eu droit aux mêmes  émissions «wax sa xalat» dans les radios qu’auparavant. Par contre, j’ai pu noter que les avis dans les forums sur le net sont restés dans la même tonalité. Quoi qu’il en soit, on ne peut qualifier le travail d’homogène. Mais on sait que les traitements varient selon l’organe, selon le journaliste et selon la personne qui est impliquée dans cette affaire.
Est-ce que l’affaire Tamsir Jupiter Ndiaye suffirait  à dire la presse est un secteur où peut  évoluer l’homosexualité ?
L’homosexualité est une réalité de la société sénégalaise, pas d’une profession en particulier. C’est un phénomène qu’on vit depuis longtemps. On a toujours vu des homosexuels se mouvoir dans les espaces publics comme à Sorano, dans les cérémonies familiales. On a vu certains qui étaient très connus et souvent exposés dans la presse jusqu’à ces dernières années. Mais je ne vois pas pourquoi on peut dire que la presse est un secteur où peut se développer l’homosexualité. Par contre, j’ai lu une étude faite au début des années 2000 au Sénégal, qui présentait les milieux et les groupes où l’homosexualité pouvait se développer plus facilement. Les organisations qui travaillent dans la lutte contre le sida ont beaucoup développé des études et des activités dans ce domaine. 
Mais est-ce qu’au regard de tout cela, on peut dire que Tamsir Jupiter Ndiaye a signé sa mort médiatique ? 
C’est dans la société de manière générale qu’il lui sera désormais difficile d’évoluer. Vivre dans une société où l’homosexualité est complétement rejetée pour des raisons réligieuses, sociales, culturelles, etc., où elle est pénalisée, risque de le marquer. Les gens le verront désormais autrement. Mais c’est à lui de savoir comment gérer tout cela.
Est ce que les médias  seraient prêts à inviter Tamsir Jupiter Ndiaye  sur leur plateau une fois cette affaire classée ? 
Difficile. Les médias sont le reflet d’une société. Ceux qui y travaillent vont rarement à l’encontre des barrières établies. Les animateurs peuvent penser à leur statut et leur image pour se démarquer de lui. Mais, comme je l’ai dit, c’est surtout Tamsir Jupiter Ndiaye qui a une nouvelle identité à gérer, celle que le public lui connaît désormais. J’ai l’impression, au regard des articles que j’ai lus, qu’il a assumé son orientation sexuelle. Ce qui n’était pas souvent le cas dans des situations pareilles, parce les homosexuels ont toujours nié face aux accusations. Reste à savoir ce qu’il en sera le jour du procès.

Moussa Sarr

Mercredi 17 Octobre 2012 10:24

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