Sénégal : on fait l’amour de plus en plus tôt

Vers les années 90, José Marie Afoutou, Professeur à la Faculté de Médecine et de Pharmacie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, ne cessait de marteler qu’au Sénégal, on ne parle pas de sexe, mais on le pratique. Cette phrase faisait éclater de rire ses étudiants de l’époque. Aujourd’hui, les choses ont évolué et le constat est là : les jeunes joignent l’acte à la parole. Et de façon « prématurée », ils parlent de sexe et font l’amour à…tout bout de champ.


Le rôle des médias, selon les parents

« Il y a une vingtaine d’années de cela, il était impensable de faire passer à la télé ou à la radio, encore moins dans la presse écrite, une publicité à caractère sexuel. A cette époque encore, le sexe faisait partie des tabous. En tant que Sénégalais, on n’en parlait pas. Seulement, avec la forte progression des maladies sexuellement transmissibles, notamment le SIDA, il fallait rompre avec certaines pratiques et faire passer le message. Je pense que c’est à partir de là que les thèmes de sensibilisation sur les MST ont commencé à envahir les médias. Vers la fin des années 90, début 2000, les publicités concernant les préservatifs masculins ont commencé à envahir les télés. Je me rappelle qu’il se disait : « utiliser tel préservatif pour lutter contre les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses non désirées ». « A mon avis, c’est ce qui a été le détonateur dans la pratique du sexe par la quasi-totalité des jeunes », lance Astou Fall, mère de trois garçons et deux filles qui l’inquiètent beaucoup quand à leur vie sexuelle.

Une sexualité sans danger pour les jeunes

Le tabou est brisé et les jeunes, outre le fait de devoir se prémunir des MST grâce à ces fameux préservatifs, avaient une arme contre la grossesse. S’en suivit une activité sexuelle intense. « Je suis d’avis que nos parents et grands-parents n’avaient pas cette chance que nous avons. La société sénégalaise est si particulière. Une grossesse hors mariage est plus qu’un crime. Ce qui poussait les femmes de l’époque à s’abstenir. Car, elles n’avaient pas le choix. C’était ça ou alors une grossesse hors mariage. Aujourd’hui que les préservatifs sont là, à la disposition de tout un chacun, il est clair que les jeunes ne vont pas se priver. Ils sont sûrs de pouvoir faire l’amour sans grands dangers. Vous avez sans doute récemment entendu parler de ce scandale sexuel dans un lycée de la place. C’est le résultat de pratiques encrées dans le quotidiens actuel des Sénégalais et qui a éclaté au grand jour. Ce n’est qu’une histoire parmi tant d’autres », confie Mamadou Diop professeur de Sciences de la vie et de la terre.

Des préservatifs dans toutes les boutiques…

A Dakar la capitale sénégalaise, plus précisément dans les populeux quartiers de Médina, Fass ou Gueule Tapée, les préservatifs sont très accessibles. Outre les pharmacies qui étaient les seules à les vendre, chaque boutique disposée dans un coin de rue en commercialise. « Je les vends à 150 FCFA (0,23 euro) le paquet de 3 préservatifs. Et j’en vends environs 12 paquets par jour », confie Abdou Bâ, boutiquier qui précise sa clientèle. « Il n’y a pas d’âge par rapport aux acheteurs. La plupart ce sont des gens du quartier qui l’achètent. Il est rare de voir un étranger se promener ici pour acheter des préservatifs. Le plus souvent, ce sont des jeunes qui les achètent. J’avoue que certains ont moins de 18 ans. Il y a aussi des adultes qui en achètent. Il n’y a pas beaucoup de bénéfice dans la vente des préservatifs, mais vu qu’on nous en demande souvent, on est obligé d’en disposer. Je pense que les gens préfèrent les acheter chez nous du fait de la discrétion », dit le boutiquier qui précise qu’il n’en a jamais vendu à une fille.

…Et dans tous les coins de rue

« Il suffit de voir les préservatifs usagers et les emballages qui se ramassent à tout va pour comprendre que la sexualité a beaucoup évolué au Sénégal. Les gens font l’amour n’importe comment. Et c’est surtout les jeunes qui n’ont encore aucune connaissance pointue du sexe. Malheureusement, celles qui n’ont pas de chance se font engrosser », déplore cet agent de sécurité qui officie sur la Corniche Ouest, à Dakar. Il dit son étonnement quant aux films qu’il vit au quotidien. « Vous savez, parfois, il y a des prostituées qui se mettent à l’angle là-bas (il pointe du doigt un bout de sentier qui fait face de la mer). Vous n’allez pas me croire si je vous dis que des jeunes de moins 16 ans se pointent parfois et discutent pour avoir des relations sexuelles avec les prostituées. La première nuit que je les ai vus, je croyais rêver, car à notre âge, on avait autre chose dans la tête que les histoires de sexe. Mais il faut reconnaître que c’est le monde à l’envers. Avec les télés et l’internet, c’est le chamboulement total », se désole-t-il.

Le constat est là, au Sénégal, les jeunes font l’amour de plus en plus tôt. Et il n’est pas étonnant de voir souvent des procès au tribunal et qui traitent de cas d’infanticide par strangulation. En effet, assez souvent, des jeunes filles se font engrosser au moment où elles s’y attendent le moins. Certaines d’entre elles, pour ne pas être la risée de la famille ou du quartier, éliminent le bébé qui est soit jeté en pâture à des animaux soit balancé dans la poubelle ou dans les canaux à ciel ouvert. Prise la main dans le sac, la coupable encourt entre 5 et 10 ans de prison.

par Abubakr Diallo

Afrik.com

Mercredi 3 Avril 2013 16:55

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