Par respect pour Mandela, oublions le procès impossible de la domination blanche (Acte I).


La frénésie de ceux qui accusent l’esclavage et la colonisation d’être responsables de l’état lugubre des économies africaines est tellement intense, que tout autre dialogue semble prohibé. Depuis le mouvement Négritude, il est devenu politiquement correct et ethniquement commode de partager cette exaltation ou de se taire. Les plus véhéments de ces afrophiles exigent un procès en réparation des préjudices causés par le dominateur blanc au continent noir. Pourtant, si on anticipe les plaidoiries de cet hypothétique procès, un seul verdict s’invite à l’esprit : La mémoire et le pardon, comme nous l’a enseigné Nelson MANDELA.
 
Nelson MANDELA, dompteur pacifique du dernier avatar de l’esclavagisme : l’Apartheid
Avec la politique d’Apartheid en Afrique du Sud, les Noirs, privés de droits civiques, étaient confinés dans des Townships qu’ils ne pouvaient quitter pour aller travailler dans les riches quartiers blancs que munis d’une autorisation.  Leur statut était assimilable à celui des esclaves Noirs d’outre-atlantique, jadis chosifiés par le honteux Code Noir français. Ceux-ci, comme ceux-là, ont été violemment réprimés pour avoir réclamé une existence civique. Mandela a subi ce sort.
Le quart de siècle passé derrières les barreaux du bagne de Roden Island pouvait nourrir la haine chez Mandela. Elu légitimement avec plus des deux tiers des suffrages, Mandela et son parti l’ANC (African National Congress) pouvaient instiguer des représailles populaires contre la population blanche et les ex-dignitaires du régime raciste de Pretoria.  C’est ce qu’attendaient d’eux beaucoup de revanchards, assoiffés de vengeance contre les Afrikaners et autres dominateurs blancs.
Au contraire, dans la paix et le compromis,  Mandela, avec le soutien de  Fréderik de KlerK, a sorti son peuple du système odieux et ultra répressif de l’Apartheid. Le départ forcé des minorités blanches a été évité grâce à l’humanité et à la maturité politique des dirigeants de l’ANC, qui ont  œuvré pour l’émergence d’une Afrique du Sud arc-en-ciel, unie et non raciale. C’est cette tolérance qui a permis le décollage de l’Afrique de Sud. La métamorphose spectaculaire de Soweto, autrefois ghetto aux allures d’un  Guantanamo à ciel ouvert,  en est une illustration. Nous devons nous abreuver de cette tolérance du berger Mandela, pour une Afrique meilleure.
 
La négritude, procès dépassé de la domination blanche
Il est indéniable que Aimé Césaire, porte drapeau de la littérature africaine de combat, a joué un rôle important dans la lutte pour le respect et la dignité de l’homme noir. Mais une partie de son œuvre est teintée d’une révolte inouïe, parfois assimilée à de la haine contre l’occident. Chantre de la négritude, il justifiait ce mouvement par le fait qu’il est une machine de guerre contre les humiliations du colonialisme et du racisme. Si cette confrontation polito-idéologique se justifiait en son temps, elle n’a plus de raison d’être menée par les intellectuels africains d’aujourd’hui. Elle est dépassée, comme l’a admis plus tard Léopold Sédar Senghor.
 
Ce n’est pas par des discours revanchards  puisés des méandres du passé que l’homme noir affirmera son identité, mais par des actes constructifs. Des auteurs comme Camara Laye et Ahmadou Kourouma l’ont compris dès le lendemain des indépendances. Wolé Soyinka résume bien cette vérité avec sa célèbre phrase : « un tigre ne proclame pas sa tigritude, il saute sur sa proie et la dévore ». Les intellectuels africains d’aujourd’hui doivent se débarrasser des stigmates idéologiques de la négritude et se focaliser sur les vrais malheurs  qui croupissent le continent africain.
 
Que ça soit en Afrique, en Amérique ou Europe, des intellectuels africains et afro-américains coalisent pour exiger un procès en réparation des torts causés par la traite négrière, l’esclavagisme qui s’en est suivi et le colonialisme. Cette démarche pour la justice, si elle est noble dans son esprit, est inopérante et inopportune  dans la pratique. Car elle ne permettra point à l’Homme Noir de se ragaillardir après des siècles de domination blanche.
 
Arguments inopérants pour accabler la domination blanche
 
Les partisans d’un procès contre la domination blanche pourraient tenir l’argumentaire suivant.
Aucun peuple sur terre n’a connu une tragédie aussi durable et horrible que la traite négrière. Nul besoin de remonter le temps pour se rendre compte de l’atrocité de cet horrible épisode de l’histoire humaine dont les Noirs ont été les victimes. Il suffit de se rendre à l’île de Gorée au Sénégal pour constater les vestiges du commerce monstrueux des Nègres.
 
C’est à cause de cette terrible domination blanche, bénie par l’Eglise catholique avec  une bulle du Pape Nicolas V en 1454,  par le Code Noir de Colbert en 1685 et par une loi de Napoléon Bonaparte en 1802, que l’Afrique a du mal à mettre un terme à son agenouillement. Aujourd’hui on reproche  à l’Afrique de sombrer dans le sous développement et la pauvreté, à cause des guerres ethniques et les coups d’Etats endémiques. S’il est vrai que ces phénomènes ont joué un rôle dans le désastre africain, ces conflits internes, les maladies et les famines qui détériorent son tissu socio-économique, ne sont que les conséquences actuelles du bouleversement structurel occasionné par la traite négrière et le colonialisme. Et non celles, comme le prétend l’argument obscène avancé par des ennemis de l’Afrique, d’une certaine paresse du Nègre, qui serait d’origine génétique.
 
Cette affabulation n’est rien d’autre qu’une manière à peine voilée de se voiler la face, de feindre ignorer la responsabilité de l’occident dans cette barbarie plusieurs fois séculaires. Pendant des centaines d’années l’Afrique a été privée de la jeunesse qui devrait bâtir son avenir. Sa population a été traumatisée par les atrocités des razzias organisés pour capturer des Nègres à vendre, sa vie sociale a été endormie, ses activités agraires et économiques paralysées, ses institutions – la famille en premier – ont été bouleversées, et son âme crucifiée sur le fronton des bateaux négriers.
 
Cette souffrance immémoriale et indicible continuera de frustrer les africains d’aujourd’hui, tant qu’un procès en réparation ne sera pas organisé. L’abolition de l’esclavage par la France en 1848, sous l’impulsion de Victor Schœlcher, n’y a rien fait. De même que la récente loi Taubira qui a reconnu en 2001 la traite négrière et de l’esclavage comme crimes contre l’humanité.
 
Arguments inopérants pour disculper la domination blanche
 
D’abord, les occidentaux soulèvent l’argument selon lequel la traite négrière et la colonisation ne se sont pas faites sans la collaboration des indigènes. Contraints au départ d’aider le dominateur européen dans ses entreprises d’asservissement, les indigènes auraient tout de suite manifesté un fort intérêt à participer, aux côtés du Blanc, à la capture des esclaves et plus tard à la conquête de l’Afrique. A leurs yeux, les chefs de tribu seraient aussi coupables que les négriers blancs, à qui ils vendaient leurs propres esclaves et prisonniers. C’est d’ailleurs à cause de cette prétention, bien véhiculée en occident,  que beaucoup d’antillais et de noirs-américains n’apprécient trop pas leurs cousins africains.  D’après le camp adverse, les indigènes africains s’empressaient de  porter l’uniforme, brandir un fusil et partir en guerre avec le Blanc, contre leurs frères Nègres. Il y aurait des bousculades lors des recrutements de laptots, ces  tirailleurs indigènes qui contribuèrent largement à la conquête de l’Afrique par les français. Le cas du sergent sénégalais Malamine, qui résista à  l’explorateur Stanley et qui, avec Savorgnan de Brazza, permit à la France d’achever la conquête de Brazzaville, est souvent cité en exemple. Ils en déduisent que les africains seraient eux-mêmes au banc des accusés s’il fallait faire le procès de la traite négrière et de la colonisation. 
 
Ensuite, depuis les écrits polémiques de Diderot jusqu’au Discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, les occidentaux soutiennent que la colonisation a extirpé le Nègre de sa caverne, pour le hisser sur le train de la civilisation et de l’histoire, qu’il aurait raté. Le colonialisme était, selon eux, une effervescence de volontés, de forces et de génies au profit des colonisateurs comme des colonisés. Mais il ne s’est aucunement agi de dépouiller les pays occupés de richesses qui, avant la présence du colon, n’avaient aucune valeur aux yeux de l’africain. Les indigènes ont bénéficié de la protection du colon ; de ses soins ;  de son école ; de sa science et son savoir-faire ; et continuent de jouir des infrastructures qu’il leur a légués, tels que les chaussées, les industries, les ports, les chemins de fer, les bâtiments publics, les palais, les ponts (Le pont Faidherbe à Saint-Louis du Sénégal est cité en exemple).
 
Enfin, au  niveau social, le missionnaire et le colon se seraient engagés dans un combat sans merci contre l’esclavage nègro-nègre et l’anthropophagie en Afrique.
 
Enfin, malgré que le cannibalisme en Afrique ait fait l’objet de développements les plus fantaisistes, ils affirment toute de même avoir participé à l’éradication d’un cannibalisme gastronomique, cultuel et de vengeance. Alors que des communautés raffoleraient de la chair humaine qu’elles considèrent succulente, d’autres s’obligeraient à manger les dépouilles du défunt pour hériter de ses qualités physiques et morales. Les missionnaires rapportent que sans eux certaines tribus du Congo, dans la région d’Oubangui, seraient décimées par le cannibalisme. Un prêtre missionnaire racontait avoir vu, dans la tribu des Zolos, des marchés d’esclaves où les acheteurs venaient marquer les parties de l’esclave qui les convenaient. Une fois tout le corps de l’esclave adjugé, on lui coupe la tête et chaque acheteur  emportait sa « viande » ou la dégustait sur place.  Selon eux, l’Afrique doit sa gratitude à ces missionnaires et colons qui ont contribué à bannir le cannibalisme.
 
Quelle que soit la force des arguments des uns et des autres, si procès il devrait y avoir, un seul verdict s’imposerait : le devoir de mémoire et de tolérance, dans le noble esprit de Nelson MANDELA, qui a su dompter l’Apartheid, SANS RANCUNE. (Ce sera l’objet de l’acte II de cette tribune)
 
Aliou TALL
Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen)
Paris - Dakar.
Email : raducc@hotmail.fr

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Mercredi 17 Juillet 2013 08:25

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