Les leçons du Conseiller spécial à la Présidence de la République


Ma contribution publiée par Sud quotidien dans son édition du vendredi 17 juin 2016 a manifestement contrarié le Conseiller spécial à la Présidence de la République, M. Abdoul Aziz Diop, et l’a fait sortir de ses gonds. Elle a suscité, de sa part, une réaction vigoureuse qui ne m’a pas du tout ménagé.

Je précise d’emblée, à l’intention des lecteurs, que mon intention n’est pas de lui répondre, surtout pas de lui porter la contradiction, puisque je ne disposerais pas d’outils, de moyens intellectuels pour cette tâche titanesque. Je précise aussi que je connais très bien l’homme. Nous nous sommes fréquentés, avons partagé des idéaux et mené des combats ensemble. Des compatriotes, en particulier un dont je me garde de citer le nom, peuvent en témoigner. Nos chemins se sont séparés après le 25 mars 2012, lui choisissant, en toute liberté, de cheminer avec le nouveau Président de la République. Depuis lors, je respecte scrupuleusement ce choix. Je n’ai pas exprimé, depuis notre séparation, une seule critique le concernant, même si je ne suis pas d’accord avec lui sur tout.

Mais voilà que lui, comme sorti du bois, me pilonne dans sa contribution-réponse publiée au même quotidien, le samedi 20 juin 2016, et s’y employant consciencieusement à rabougrir mes contributions et à les réduire à de vulgaires redites. Il trouve d’abord mon texte trop long et me traite d’ « auteur fâché avec la concision ». Il explique la longueur de mes tribunes par la « paresse d’enquête » et, partant, par « l’imprécision manifeste qui les caractérise, dans l’attente des preuves qui n’arrivent jamais ». La longueur de mes textes le dérange donc à ce point ! Pourtant, sa diatribe occupe toute une page du journal. Mais lui, c’est le Conseiller spécial, le docteur en quelque chose, en sciences politiques je crois. Cependant, il sait, lui le grand intellectuel, que la longueur d’un texte est relative. Tout dépend de ce qu’on y trouve de très bon, de bon, de moins bon ou de mauvais. Il m’arrive d’avoir de la peine à lire un texte qui occupe, au plus, un quart de page. A contrario, je lis avec délectation, je dévore certains textes qui remplissent toute une page de journal et débordent même sur la suivante. Je les lis avec un marqueur, un stylo à billes et un bloc-notes à portée de main. Je les lis et les relis, s’il y a lieu.

Voilà ! Tout dépend donc de l’intérêt du texte, de la qualité de l’écriture, etc. Quand je trouve qu’un texte (long ou court) n’est pas bon, je le mets de côté et m’emploie à faire autre chose. Qui y a-t-il de plus simple que cela ? Monsieur le Conseiller spécial n’était quand même pas obligé de lire ma contribution du vendredi 17 juin 2016 ! En réalité, son souci était de caricaturer mon texte, tous mes textes d’ailleurs qui, de son point de vue, présentent la faiblesse majeure de n’être que des commentaires. Et notre Conseiller spécial de me délivrer un véritable cours sur le commentaire, qui a cette faiblesse de faire dire aux faits ce qu’ils ne disent pas. A cette faiblesse, qui serait ma tare congénitale depuis quarante (40) ans que j’écris, il oppose « l’opinion vraie », celle des « des  hommes  et des femmes qui tirent leur compétence d’un long apprentissage de la méthode avec laquelle ils traitent les sujets relevant de leur domaine de prédilection (la philosophie, l’histoire, le droit, la sociologie, l’économie, la science politique, les sciences de l’éducation, etc.) Parce qu’ils disposent d’outils d’analyse appropriés, reconnus par une communauté scientifique parfaitement identifiable, ces hommes et ces femmes analysent les faits pour ne jamais leur faire dire ce qu’ils ne disent pas. Parce que l’analyse est un effort exceptionnel pour faire dire aux faits ce qu’ils disent réellement, on dit d’elle qu’elle a le même statut que les faits passés au crible ».

Voilà ce dont je ne serais pas capable, me contentant donc de mes longs commentaires qui ne seraient que des « préfabriqués », que j’aurais dû, de son avis docte, m’abstenir de publier. Je conforte notre docteur-conseiller spécial, en lui faisant un aveu qui va certainement lui plaire et renforcer ses certitudes: je ne suis pas, comme lui, de ces grands esprits qu’il cite comme exemples. Je suis un modeste inspecteur de l’Enseignement élémentaire (même pas secondaire !) à la retraite, dont le niveau intellectuel ne permet certainement pas de disposer de ces « outils d’analyse appropriés ». Je me contente donc de mes commentaires, dérisoires pour le Conseiller spécial, mais qui me permettent d’écrire depuis 40 ans, d’écrire six (6) livres et au moins deux cents (200) contributions, comme celle qui a provoqué son ire qu’il a difficilement contenue. C’est de la même manière, appuyé sur le seul commentaire, que j’ai écrit nombre de mes contributions que notre contradicteur d’aujourd’hui appréciait positivement avant le 25 mars 2012. Très positivement. Yalla xam na ko. Ce n’est pas en ce mois béni du Ramadan que je commettrai le sacrilège de raconter des histoires. Oui, il a eu à me faire rougir d’appréciations positives de mes contributions qu’il caricature aujourd’hui et voue aux gémonies. Il est vrai que les choses ont changé depuis le 25 mars 2012, et les paramètres d’appréciation avec.

Dans sa conclusion, Monsieur le Conseiller spécial me renvoie à l’essai qu’il a dédié à la « politique sociale » de son mentor. Je l’ai aperçu à L’Harmattan. En plus de cet essai, il est souvent l’invité des médias (radio, télé, etc.) et publie des contributions. En d’autres termes, il exprime publiquement, en toute liberté, son opinion sur la gouvernance que son mentor met en œuvre depuis le 2 avril 2012. Alors, ne peut-il pas me reconnaître le même droit, la même liberté, même si nous avons une vision diamétralement opposée de la marche des affaires publiques de notre pays.

J’ai entendu notre éminent docteur, invité de l’émission « Remue-ménage » de la RFM, soutenir mordicus qu’avec l’avènement de Macky Sall, le pays connaît des ruptures profondes. C’est sa liberté. Qu’il me reconnaisse celle d’en douter sérieusement !

Même si je ne suis pas capable d’analyse et ne me situe qu’au niveau du commentaire, ma conviction est que le Président Sall a renié la quasi-totalité de ses engagements. On n’a vraiment pas besoin d’être un esprit brillant pour le constater. Lui, le Conseiller spécial, est libre de croire que la politique que l’on déroule sous nos yeux est transparente, sobre et vertueuse ; que la Patrie passe avant le parti ; que le gouvernement compte toujours 25 membres et que nous sommes à quelques encablures de l’élection présidentielle de 2017. Il est libre de croire ce qu’il veut, de rêver. Les treize millions de Sénégalaises et de Sénégalais apprécieront.

En attendant, je continuerai d’exprimer mon opinion sur la manière dont le pays est gouverné, comme je l’ai toujours fait, à un moment où, dans l’espace politique, on ne connaissait pas un certain Abdoul Aziz Diop. Je l’ai fait avec le Président Senghor (même si j’étais encore très jeune) comme avec les Présidents Diouf, Wade et, aujourd’hui, Macky Sall.

Notre docteur peut m’accabler, à loisir, de tous les qualificatifs, y compris des plus indécents, notamment de rébarbatif et de paresseux (puisque je ne me donnerais pas la peine de faire des enquêtes). Il n’hésite même pas à qualifier mes écrits d’ « injures publiques », à la place des magistrats. Peut-être, ira-t-il plus loin, en convainquant, avec ses outils d’analyse pointus, les autorités compétentes de me mettre en prison. Ce n’est pas exclu, puisqu’il ne sait plus où il va, il ne sait plus où il en est : xamatul fu mu ne, xamatul fu mu jëm. En tout cas, il peut continuer de me charger, mais il ne m’empêchera jamais de m’interroger sur les coûts de certains de nos projets. Ainsi, jusqu’à preuve du contraire, je douterai que 17 milliards seront investis dans la réhabilitation du Building administratif. Je m’interrogerai quand, tout d’un coup, on nous annonce que les travaux de finalisation de l’AIBD coûteront 62 milliards. Les Gabonais ont construit à Port Gentil un aéroport international pour 73 milliards de francs CFA. Comparaison n’est pas raison, évidemment, et je ne connais pas la taille des deux aéroports. Je ne fais donc pas de jugement de valeur. Je note seulement, en attendant de plus amples informations, que l’Aéroport international de Port gentil a coûté 73 milliards.

Je m’interroge aussi sur la pertinence de deux infrastructures : l’Autoroute « Ila Touba » et le Train Express régional (TER) qui va relier l’AIBD à Dakar. J’ai largement exprimé ma réserve dans ma contribution qui a sérieusement dérangé le docteur-conseiller spécial. Les deux infrastructures vont engloutir à elles seules près de 1000 milliards de francs Cfa. Avec autant d’argent, on peut désenclaver une bonne partie du territoire national, la Casamance en particulier. Nous sommes encore un pays pauvre et endetté, avec beaucoup de priorités. Nous devons dépenser nos maigres ressources – notre Conseiller spécial n’aime pas le qualificatif – de façon rationnelle, en les orientant vers les secteurs qui en ont le plus besoin. L’adage walaf dit fort justement ceci: Ku sab sér jotul, doo boot ay gámb ». Mettre 500 milliards de francs CFA dans un train (même électrique) de 54 km, alors que notre seul patrimoine dans le domaine du chemin de fer est un « petit train bleu », c’est vraiment insensé. Avec 500 milliards, on peut réhabiliter une partie de notre vieux réseau ferroviaire, notamment Thiès-Saint-Louis, Louga-Linguère (pourquoi pas ?), Kaolack-Guinguinéo, etc.

Avec de telles incohérences – il y en a de nombreuses autres –, je continuerai, contre vents et marées, à me poser des questions, que se posent aussi d’ailleurs de grands techniciens indépendants du bâtiment et des infrastructures routières et/ou ferroviaires. Hier, c’était le député Moustapha Diakhaté qui s’attaquait à mes « verbiages qui (m)’ont valu d’être viré de l’OFNAC ». Aujourd’hui, c’est le docteur-conseiller  spécial qui s’en prend violemment à mes commentaires, à mes redites. D’autres de la mouvance présidentielle peuvent bien se joindre à eux. Ils n’arriveront jamais à m’enlever ce droit citoyen,  qui m’a toujours permis de jeter un regard appuyé sur les différentes gouvernances qui se sont succédé au Sénégal. Je considère ce droit comme ma manière de cultiver ma part, même modeste, du jardin national.

Je rappelle que je suis dans l’espace public depuis quarante ans. Je connais beaucoup de monde dans ce pays. J’ai été, en particulier, témoin des difficultés énormes que vivaient certains compatriotes avant le 25 mars 2012. J’en ai connu qui tiraient carrément le diable par la queue, étaient endettés jusqu’au cou et n’arrivaient pas à honorer leurs engagements. Je suis même intervenu personnellement auprès du créancier de l’un d’entre eux, pour le dissuader de porter plainte. Aujourd’hui, les « délices » du pouvoir aidant, on fait table rase de tout ce passé qu’on veut jeter par-dessus bord. On se pousse des ailes et fait feu de tout bois. On s’arroge même le droit d’extirper de l’espace public de paisibles citoyens dont le seul tort, c’est d’être restés eux-mêmes et d’avoir gardé la même constance dans l’appréciation de la conduite des affaires publiques, quel que soit le régime en place.

 

Mody NIANG



Jeudi 23 Juin 2016 11:39

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