Idrissa Diop : «Il n’y a pas photo entre ce qu’Abdoulaye Wade a fait pour le Sénégal et ce que les autres ont fait»

Sous un ensemble demi-saison de couleur grise, une casquette noire bien vissée sur la tête, Idrissa Diop nous accueille dans le cadre du Just for You, qui garde encore les stigmates des fêtes de fin d’année. Malgré les quelques minutes de retard accusé sur le rendez-vous, l’homme est resté courtois et nous accueille avec une grosse banane qui lui balafre le visage. Quelques échanges de civilités et le voilà qui plonge dans le débat. De son enfance au règne de Macky Sall, en passant par son séjour européen, son compagnonnage avec Abdoulaye Wade, l’évolution de la musique sénégalaise, Idrissa Diop, Idy pour les amis, parcourt l’album de sa vie, «une histoire bien vécue et bien racontée». Membre des sept mercenaires, trouble-fête, musicien et rebelle, voilà Idrissa Diop tel qu’on ne l’a jamais connu. Il se livre au Pays.


Qui est Idrissa Diop ?

Je suis un enfant de la Gueule Tapée, né à Malika. J’ai commencé ma scolarité à l’école Repos Mandel qui est l’actuel hôpital Abass Ndao. C’était dans les années 60. Ensuite, j’ai été transféré à l’école Médine, là où le Jaraaf s’entraîne. Après, j’ai été à l’école Manguiers. (Eclats de rire). J’ai été baigné dans un univers de joie de vivre, bref d’allégresse. Comme tous les jeunes, j’ai aussi fait des choses extraordinaires dans mon enfance.

«A l’époque, on avait un gang de copains qui s’appelait ‘’les sept mercenaires’’ (...) On allait au lycée Delafosse pour voler des denrées comme le riz, l’huile…, qu’on amenait à la Gueule Tapée pour les distribuer aux mamans. On jouait aux Robin des bois. Ça nous a valu des déboires avec la police. On m’a amené à la prison des mineurs, au Centre de reclassement de Nianing. Ça, c’est vraiment ma vie. Personne ne le savait. Je suis contre l’injustice et je me rebelle toujours contre l’injustice».

Par exemple ?

J’ai vécu des moments magnifiques avec des équipes de navétanes comme l’Aigle d’azur. Bref, j’ai partagé beaucoup de choses dans ma vie avec beaucoup de gens. J’ai aussi fait beaucoup d’erreurs de jeunesse. J’ai partagé beaucoup de trucs avec des gens magiques, qui m’ont inspiré. Je pense à Labah Socé, Issa Cissokho, Dexter Johnson. On habitait tous dans le même quartier, soit à la Médina ou à la Gueule Tapé, ou même à Fass. J’étais tout le temps avec ces gens-là. C’est pourquoi quand j’ai fait de la musique après, ça ne m’a pas étonné parce que j’ai tout le temps été baigné dans la musique de ces gens-là. Pour tout dire, c’était une enfance vraiment magique, mais avec des bobos, parce que j’étais profondément rebelle. Cet esprit de rébellion m’a toujours habité. Jusqu’à ce jour, je le garde. Je me rebelle contre l’injustice, contre les tortures faites aux enfants, contre les agressions, d’où qu’elles puissent venir. Ça, c’est Idrissa Diop.

Mais comment se passait votre quotidien d’enfant, disons de Boy Dakar ?

Comme tous les enfants, des bêtises, j’en ai fait plein. A l’époque, on avait un gang de copains qui s’appelait ‘’les sept mercenaires’’. Vous savez à l’époque, il y avait l’internat au lycée Delafosse. Les collégiens et les lycéens vivaient vraiment bien. Il y avait beaucoup de repas qui était jeté dans les poubelles. On était très frustré. Et derrière le mur, c’était le quartier de la Gueule Tapée où nos mamans vivaient dans la misère totale. On ne pouvait pas supporter cela. Je me suis demandé pourquoi ces gens-là sont plus heureux que nous et nos mamans. On allait là-bas pour voler le riz, l’huile…, et on l’amenait à la Gueule Tapée pour les distribuer aux mamans. On jouait aux Robin des bois. Ça nous a valu des déboires avec la police. On m’a amené à la prison des mineurs, au Centre de reclassement de Nianing. Ça, c’est vraiment ma vie. Personne ne le savait. Je suis contre l’injustice et je me rebelle toujours contre l’injustice.

«On ne peut pas s’amuser à faire n’importe quoi avec ces sept clefs-là. C’est le fameux do-ré-mi-fa-sol-la-si. Très jeune, j’ai eu à me soucier de ce respect que je dois à la musique, en respectant ses sept clés. Cela m’a permis, bien des années plus tard, de jouer avec de grands noms de la musique, dans le monde entier et sans difficulté. Apprendre, c’est très bien. Mais, il faut bien apprendre, c’est mieux».

Vous avez tantôt parlé de la fréquentation des Labah Socé, Dexter Johnson… qui vous a poussé à faire de la musique. Mais comment est venu le déclic ?

Le déclic est venu de mon grand-père. Quand je revenais de l’école, je faisais beaucoup de bruits. A la maison, quand je revenais, je balançais mon sac et je transformais tout (les bols, les plats, tout quoi) en tambour. Mon grand-père en a eu marre et il m’a dit : «Idy, je vais te faire un cadeau. Je vais t’acheter un tambour». Il m’a offert un petit tambour. J’étais tout heureux. C’est ce tambour-là qui a été le déclic. Je l’appelle le ‘’tambour magique’’. Je le trainais aux répétitions de Labah Socé. Je jouais, il me chassait, mais je revenais quand-même (éclats de rire). Je le faisais aussi avec les Issa Cissokho et autres. Je suivais tous ces mouvements-là, avec mon tambour magique. Je les suivais pour apprendre. Même s’il me chassait, je revenais toujours. C’était ma passion. Un jour, Labah Socé a dit : «Ce gosse nous suit partout. Je crois qu’il a l’amour de la musique, donnons-lui sa chance». C’est comme ça que j’ai eu à monter un groupe de quartier qu’on appelait le Rio orchestra. Après avec des amis, on a eu un autre groupe et on jouait à l’époque. On était très jeunes, mais on essayait de faire comme les grands qui étaient là, les Dexter, Labah Socé, Pape Seck Dagana. Après, on s’est même retrouvés dans des orchestres, à jouer avec eux dans les mêmes clubs. C’est une histoire bien vécue et bien racontée quoi.

Vu que le déclic est venu avec le «tambour magique», on est tenté de savoir si Idy a toujours été un instrumentaliste et comment Idy est devenu un chanteur.

J’ai allié les deux. J’ai toujours joué les congas, les tambours et chanté en même temps. Je l’ai toujours fait. Aujourd’hui, encore, je joue un tout petit peu les timbales, les bongos, les djembés. Mais comme dans mon groupe, j’ai un percussionniste, je le laisse jouer. Moi, je suis là pour marquer le temps. Mais j’ai toujours joué les tambours et chanté en même temps.

Au-delà de cette formation autodidacte, avez-vous fait une école d’art ?

Ma curiosité m’a amené à approcher des gens magnifiques. J’ai aussi été un tout petit peu à l’école des arts pour comprendre les clefs de la musique. Ça m’a permis de pouvoir jouer des harmonies car souvent beaucoup de gens oublient que la musique, c’est 7 clefs. On ne peut pas s’amuser à faire n’importe quoi avec ces sept clefs-là. C’est le fameux do-ré-mi-fa-sol-la-si. Très jeune, j’ai eu à me soucier de ce respect que je dois à la musique, en respectant ses sept clés. Cela m’a permis bien des années plus tard, de jouer avec de grands noms de la musique, dans le monde entier et sans difficulté. Apprendre, c’est très bien. Mais, il faut bien apprendre, c’est mieux.

Comment jugez-vous l’évolution de la musique sénégalaise, depuis la belle époque que vous venez de relater jusqu’à nous jours ?

Vous savez, moi, je dis depuis longtemps qu’il n’y a pas une musique sénégalaise, mais des musiques sénégalaises. Ces musiques sénégalaises-là évoluent. Quand on prend un dérivé de cette musique-là, qu’on appelle le mbalax, beaucoup de gens ne le comprennent pas mieux que Doudou Ndiaye Rose, une personne que j’admire. C’est un monument. Depuis 40 ans, je travaille avec lui. Je l’ai vu dans le fameux orchestre du Sahel, organiser des soirées sénégalaises avec une thématique à partir du sabar. Il a fait évoluer le sabar jusqu’à donner à cet instrument une dimension universelle. Rien que pour ça, je voue un grand respect à ce grand maître des tambours. J’ai un grand respect pour ce que l’on fait de manière assez claire.

Pour en revenir à votre question, j’ai comme l’impression que les gens sont très pressés. Nous à l’époque, notre apprentissage durait beaucoup d’années. Aujourd’hui, je sens que j’ai donné une bonne partie de mon corps, de mon âme et de ma spiritualité à la musique. Pour moi, la musique est spirituelle. Je n’aime pas trop critiquer, mais je pense qu’on donne beaucoup de talent au bruit. C’est –à-dire que le plus grand faiseur de bruit, c’est lui qui a du talent. Or on respectant ces sept clefs de la musique, on n’a pas à être pressé. Mais, j’ai l’impression que cette musique tourne en rond. Quand tu entends un joueur de mbalax, tu as entendu tout le monde. Ils font la même chose. Ils font le tour sans le savoir. Il suffisait d’un tout petit déclic pour que cela soit écouté partout dans le monde.

«C’est le sabar qui prédomine or, le mbalax n’est qu’un instrument d’accompagnement. Quand Doudou Ndiaye Rose joue, il dit à un de ses fils : ‘’Yow mbalaxal’’ (NDLR : toi, tu joues au mbalax). Le mbalax n’est donc pas une polyrythmique. Il faut savoir pouvoir l’expliquer à la jeune génération pour qu’elle ne se trompe pas de couleur musicale. Pour les jeunes d’aujourd’hui, le mbalax est une affaire de mode, mais qui dit mode, dit démodé».

Ce petit déclic-là, c’est quoi, selon vous ?

C’est simplement servir la musique et non se servir de la musique.

C’est le conseil de l’ancien ?

Voilà. C’est servir la musique. La rythmique du mbalax ‘’ratatatoum’’ nous appartient. Ça accompagne nos baptêmes, mariages … Nous sommes nés dans le sabar. Mais aujourd’hui, quand on regarde les groupes jouer, on a l’impression qu’on fait du sabar musical. C’est le sabar qui prédomine. Or, le mbalax n’est qu’un instrument d’accompagnement. Quand Doudou Ndiaye Rose joue, il dit à un de ses fils : ‘’Yow mbalaxal’’ (NDLR : toi, tu joues au mbalax). Le mbalax n’est donc pas une polyrythmique. Il faut savoir pouvoir l’expliquer à la jeune génération pour qu’elle ne se trompe pas de couleur musicale. Pour les jeunes d’aujourd’hui, le mbalax est une affaire de mode. Mais qui dit mode, dit démodé.

Qu’est-ce qui a été à la base de votre émigration en Europe ?

Je suis parti par curiosité et un souci de transporter ma culture ailleurs. J’ai voulu donner de ma culture et prendre des autres, pour la mettre au service de ma musique. Cela m’a permis de rencontrer énormément de musiciens africains, notamment Ray Lema, le Congolais, Mory Kanté le Guinéen, Salif Keïta, le Malien, Manu Dibango, le Camerounais et d’autres tels des Ghanéens, des Nigériens. Ça m’a permis également rencontrer Fela Kuti et beaucoup d’autres, que je ne peux pas énumérer ici. Notre objectif était de porter l’héritage de nos ancêtres au-delà de nos frontières et revenir partager avec notre peuple. C’est pour cela que je suis parti.

Ça a duré combien d’années ?

Vingt-huit ans. Maintenant, je suis revenu pour partager cette expérience avec la jeunesse de mon pays, qui me voue un énorme respect.

Idrissa Diop a été très présent lors de la dernière campagne présidentielle aux côtés de Me Wade. Qu’est-ce qui explique ce choix ?

Wade, c’est un ami. Le président Wade, c’est un homme que je respecte, que j’admire. Je respecte sa vision. J’admire son sens du patriotisme. Il est profondément sénégalais. Je l’ai connu en 1974 devant le Sahel. Il avait, à l’époque, une voiture-traction avant grise. Il était avec feu Ndiouga Kébé, qui avait ouvert le Sahel et quatre autres personnes. Je sors de la boîte et je le trouve là. Il me dit : «J’adore les musiciens. Mais, j’ai envie que vous m’aidiez à changer tout ça». Je lui dis que vous êtes le premier à venir me voir et me demander de vous soutenir. On s’en est arrêté là. C’était en 1974. Quand je suis revenu au Sénégal, il a eu besoin de moi, je me devais de l’aider pour sa campagne. Je suis quelqu’un qui admire Wade, en tant qu’acteur politique, mais aussi en tant qu’être humain. Je l’admire pour tout ce qu’il a fait pour le Sénégal et pour l’Afrique. Je jure sur la tombe de ma mère qu’il n’y a pas photo entre ce qu’Abdoulaye Wade a fait ici et pour le Sénégal et ce que les autres ont fait. Retenez que j’ai vécu sous Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Ce qu’il a fait, aucun de ses prédécesseurs ne l’avait même pas imaginé. Je ne suis pas politique, mais c’est pourquoi je l’admire.

Mais l’information a circulé, disant que Wade a payé tous les artistes qui…

(Il nous coupe) Non ! Non ! Non ! J’ai écrit des chansons pour des artistes très connus dans le monde entier. Ces chansons coûtent très cher. Tous les deux ou trois mois, mes droits d’auteur tombent. Je vis de mes royalties. Je n’ai pas besoin de l’argent de qui que ce soit. J’avais promis à Wade de l’aider, je vais continuer à le faire, tant qu’il aura besoin de moi. Mais bon, on est au Sénégal. ça radote par ci, ça parle par là. Mais bon, ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est ce qui habite l’être humain. Encore une fois, je n’ai pas besoin du plus petit franc de qui que ce soit. Pour dire tout simplement que cette personne-là, je lui ai fait confiance. Je l’ai aidée. Mais je ne connais rien en politique. Mon domaine, ce sont les tambours, les scènes, balancer des messages…

«Les juges Sénégalais ne peuvent être influencés par quoi que ce soit ou par quoi que ce soit. Vous savez, il y a un film western que j’aime beaucoup qui s’appelle «le bon, la brute et le méchant». Ce film symbolise toutes les sociétés. Dans le régime de Wade, il n’y a pas que des mauvais. Il y a des gens profondément bons. Ce qui est déplorable, c’est qu’aujourd’hui, on veut nous faire croire qu’il y a des messieurs propres et des mesdames propres. Voilà pourquoi, je demande qu’on laisse les juges faire leur travail».

L’actualité, c’est aujourd’hui la traque des biens mal acquis, la levée de l’immunité de certains députés. Bien que vous ne soyez pas politique, qu’est-ce que tout cela vous inspire, en tant que citoyen ?

C’est très important ce que je vais vous dire là. On dirait qu’on est dans un Etat où les gens oublient qu’on a eu l’indépendance depuis 1960. Ils pensent que les juges ont changé. Non, ils n’ont pas changé. Pour moi, la justice sénégalaise est une des plus respectées dans le monde. Elle est composée de personnes intransigeantes, clairvoyantes et très justes. Les juges sénégalais ne peuvent être influencés par quoi que ce soit ou par qui que ce soit. Vous savez, il y a un film western que j’aime beaucoup qui s’appelle, «le bon, la brute et le méchant». Ce film symbolise toutes les sociétés. Dans le régime de Wade, il n’y a pas que des mauvais. Il y a des gens profondément bons. Ce qui est déplorable, c’est qu’aujourd’hui, on veut nous faire croire qu’il y a des messieurs propres et des mesdames propres. Voilà pourquoi, je demande qu’on laisse les juges faire leur travail. Il faut faire moins de bruit parce que, moi, je crois en ce Sénégal de paix qu’on a toujours connu. Les gens qui ont fauté vont être sanctionnés par les juges

Le Sénégal vient de changer de gouvernement, il y a neuf mois. En ce début de nouvel an, quelles sont vos attentes par rapport au nouveau régime ?

Je n’attends de lui que le travail. Qu’il nous fasse rêver. A mes heures de prière, je prie pour que Macky Sall et son gouvernement réussisse dans les tâches qu’ils ont à mener. Souhaitons-leur bonne chance et laissons – les travailler. ‘’Bougnou ci kheup kani’’ (NDLR : il ne faut pas pimenter la sauce). Ça va être difficile partout et c’est difficile partout. La critique est aisée, mais l’art… Gouverner, c’est difficile.

Si Idy Diop avait une baguette magique, qu’est-ce qu’il changerait dans ce Sénégal ?

C’est de voir moins d’enfants dans les rues. Moi, Anta Mbow et Valérie Schlumberger nous nous occupons des enfants de la rue depuis 10 ans, avec Empire des enfants. Je n’ai pas vu passer les 10 ans. J’étais énervé par rapport à la vie. Pourquoi on a laissé ces enfants faire les mendiants, être torturés, être violés, envoyés dans les rues, le ventre creux. Donc, si j’avais une baguette tout de suite, je dirais : « Coucou, âme, réveilles-toi. Et que Dieu fasse qu’il n’y ait plus d’enfants dans les rues du Sénégal ». On est en train de nous battre depuis des années sans aide. Notre rêve, c’est de voir l’Empire appartenir définitivement aux enfants, pour donner un sens à notre vie. L’Empire des enfants est profondément ancré en moi.

Je veux aussi que les Sénégalais se frottent, se touchent la main et soient ensemble. C’est ce que nos ancêtres nous ont légués.

Réalisé par Souleymane KANE


Bamba Toure

Dimanche 13 Janvier 2013 10:00

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