Honneur soit qui mal y pense !


C’est en 2005 que Jean Yves le Gallou, un des théoriciens du Front national, avait forgé en France l’expression la «préférence nationale».  Elle exprime la volonté politique de réserver, des avantages ainsi que la priorité à l’emploi, aux détenteurs de la nationalité française ou à refuser les aides sociales à des personnes qui n’auraient pas cette nationalité. Le Président Macky Sall a prôné dans son programme de gouvernement une certaine préférence, à accorder aux entreprises nationales, dans le cadre de la commande publique.

Il faut dire que dans un contexte de mondialisation et d’ouverture des marchés, un tel «chauvinisme» pourrait paraître inapproprié. Surtout que l’essentiel de la commande publique proviendrait d’appuis budgétaires fournis par des pays étrangers qui ont aussi le souci de donner du travail aux entreprises qui battent pavillon de leur pays. C’est un lieu commun que la nouvelle approche de la coopération internationale voudrait que si l’Inde, la Chine, le Koweït, l’Arabie Saoudite, la France, les Etats-Unis ou un quelconque autre pays donne un soutien dans le cadre du financement d’un projet, la conditionnalité est que l’exécution soit réalisée en tout ou partie par une firme provenant du pays donateur.

C’est dire que le concept de préférence pour les entreprises nationales a de moins en moins de sens dans nos pays très largement tributaires de l’aide internationale. C’est donc l’heure de se réveiller pour nombre de nos dirigeants politiques et chefs d’entreprise. En outre, des voix se sont élevées pour s’offusquer de l’attribution d’un marché de pavage des rues de Dakar à une entreprise du Burkina Faso, qui du reste est du même espace économique communautaire que le Sénégal et dont l’offre technique était meilleure et était la mieux «disante» financièrement. Notre orgueil et notre petite fierté en ont reçu un coup. Pourtant, nous nous félicitons chaque fois que nos entreprises des Btp gagnent de gros marchés à Ouagadougou, Bamako, Malabo, Ndjamena, Libreville, Conakry, Bissau, Banjul, Niamey…

Aujourd’hui, jusque dans des domaines hautement stratégiques, des entreprises européennes ou américaines montent des rames de Tgv, de métro ou de tramway en Chine, en Russie, au Japon ou envoient dans l’espace des cosmonautes ou des satellites russes, chinois ou indiens ou vendent à ces pays des armes de guerre ou des avions.

 Et puis parmi nos grands dirigeants politiques et chefs d’entreprise qui s’indignent que des entreprises étrangères gagnent des marchés, combien sont-ils exclusivement de nationalité sénégalaise ? Peut-on sérieusement parler de préférence nationale dans un pays où le chef du gouvernement ou de grands ministres présentent aux frontières des passeports étrangers ? Macky Sall doit nous dire si son Premier ministre Abdoul Mbaye, son ministre des Finances Amadou Kane ou son directeur de Cabinet Abdou Aziz Mbaye, ne sont pas aussi citoyens de l’Union européenne qu’un certain Karim Wade. Le ministre des Affaires étrangères Alioune Badara Cissé ne préférerait-il pas la bannière étoilée à notre drapeau «vert, jaune, rouge» frappé d’une étoile à cinq branches ? Lors de la visite de Hilary Clinton à l’université Cheikh Anta Diop, Alioune Badara Cissé (ABC) a poussé le ridicule en revêtant sa toge d’étudiant d’une université du Minnesota sans savoir que dans la salle étaient tranquillement assis d’autres diplômés des cinquante premières universités américaines. Aussi, en introduisant Mme Clinton, ABC a exclusivement parlé en anglais oubliant que la langue officielle du Sénégal reste le Français. Pourtant le lendemain, en signant un accord avec une délégation gambienne, Alioune Badara Cissé leur a parlé en français et en anglais. Quel complexe ! Quid du ministre de la Communication Abou Lô qui n’est plus Sénégalais depuis que l’Allemagne lui a octroyé le passeport ? Dans une note d’information sur la «nationalité allemande» publiée le 30 mars 2012 par les missions diplomatiques et consulaires allemandes en France et encore affichée au 28, rue Marbeau à Paris, on peut lire les dispositions principales de la loi sur la nationalité allemande (Staatsangehörigkeitsgesets, StAG) entrée en vigueur le 1er janvier 2000. La loi indique notamment que «pour la naturalisation des étrangers vivant en Allemagne, des conditions préalables sont, entre autres, un séjour de 8 ans en Allemagne et la régularité dudit séjour, l’acceptation des principes de la Constitution allemande (Grundgesetz), un casier judicaire vierge, la détention d’un permis ou d’une autorisation de séjour, la garantie des moyens de subsistance, des connaissances suffisantes en Allemand et la répudiation de sa nationalité d’origine. Seuls les ressortissants de pays membres de l’Union européenne ou de la Suisse sont exemptés de cette répudiation de nationalité».

Le débat sur la nationalité des gouvernants est une question fondamentale pour éviter que ces derniers ne se présentent comme le «dieu Janus avec une double face, un double langage, une double appartenance à deux pays dont les intérêts sont différents parfois opposés». N’y aurait-il pas un danger potentiel évident de trahison ? Supposons que notre pays soit en grave désaccord avec le pays de la double nationalité de la personne, ou pire que nous soyons en guerre, que se passerait-il ? D’aucuns avaient parlé de la présence trop marquée du lobby économique français au sein du gouvernement. Surtout que le jeune frère du Premier ministre, lui aussi Français, dirige la première entreprise du Sénégal et se fait payer ses bonus dans un compte à Monaco. Le même débat fait rage en Haïti. Plus de quatre membres du gouvernement dont le Premier ministre Laurent Lamothe sont citoyens d’autres pays, détenteurs de passeports étrangers. Une commission d’enquête sénatoriale exige leur démission et est soutenue par une large frange de l’opinion publique. A coup sûr, si pour une circonstance quelconque la France et les autres pays occidentaux se mettaient à évacuer de Dakar leurs ressortissants, on trouverait les principaux tenants du pouvoir politique et économique dans les lieux de regroupement des bases militaires françaises. Comme cette situation burlesque en Côte d’Ivoire où, il y a un peu plus d’un an, les principales figures du régime de Laurent Gbagbo se pressaient avec leur carte nationale d’identité française à la base de Port Boué.

Nb : Ce titre a été emprunté au Canard enchaîné.

Madiambal Diagne

Source: Le Quotidien

Abdou Khadre Cissé

Lundi 13 Aout 2012 11:28

Dans la même rubrique :