CONTRIBUTION : « Eléments d’alerte face à la découverte de Pétrole et de Gaz au Sénégal » (par Abdou GUEYE )


L’exploitation des hydrocarbures peut bien constituer une source vitale pour le Sénégal mais également, elle peut avoir des conséquences désastreuses, car le pétrole n’est pas toujours une panacée pour les pays producteurs. La plupart des sources d’énergie nécessaires au fonctionnement de nos sociétés sont fournies par le gaz et le pétrole. Mais leur extraction génère également une série de coûts sociaux, économiques et environnementaux : présents et futurs, directs et indirects, négatifs et positifs qui doivent être comparés aux bénéfices qu’ils apportent pour le pays. En sus de ces menaces ; l’exploration et la production future des ressources pétrolières et gazières risquent d’aggraver la crise que connaît déjà le secteur de la pêche. En effet, ces dernières années, la pêche maritime sénégalaise connait quelques difficultés liées à la rude compétition des bateaux de pêche industrielle étrangère, à la pêche INN (illicite, non déclarée et non réglementée), à la raréfaction des ressources halieutiques et surtout à la réalité du changement climatique qui ignore les frontières. Suivant les statistiques, les débarquements de la pêche maritime en 2014 était estimée à 425 002 tonnes contre 441 254 tonnes en 2013, équivalant à 3,7% de baisse relative. La valeur commerciale évaluée en 2014 fut de 134, 95 milliards soit un recul de 6,5%. Du pétrole a été découvert, en 2014, dans le bloc de Sangomar offshore profond avec une réserve de 2C1 estimée à 473 millions de barils localisée dans le puits de SNE et, en 2015, du gaz classé au rang mondial (dont la réserve estimée à 590 milliards de mètre cube), à cheval entre la Mauritanie et le Sénégal, dans les blocs de Kayar offshore profond (puits de téranga1) et de Saint-Louis offshore profond (puits de Geumbeul1). Cette découverte représente un faible pourcentage par rapport aux potentiels des réserves récupérables qu’on peut découvrir dans l’avenir sur les 11 blocs situés en offshore parmi les 18 que possède le Sénégal. Partout dans le monde, l’exploitation des hydrocarbures offshore renvoie à des enjeux très originaux du fait de l’extrême sensibilité de la biodiversité marine dont dépendent des ressources économiques essentielles pour les Etats côtiers (recettes d’exploitation, contreparties financières des accords de pêches et redevance des licences) et des moyens d’existence pour les communautés de pêche artisanales. De même, la préservation de 1 2C : Meilleure estimation des ressources contingentes 2 l’environnement marin et de la biodiversité constituent des enjeux majeurs auxquels doivent faire face le Sénégal et les compagnies pétrolières internationales en matière de respect des lois et règlements et des traités internationaux. En Afrique, la « malédiction » dite du pétrole est souvent observée dans plusieurs pays producteurs. Les capacités gouvernementales de gestion des risques environnementaux sont encore limitées en cas de déversement accidentel et on note des capacités techniques et organisationnelles insuffisantes en matière de suivi et de réaction. Au Sénégal, faudrait-il parler de menace forte à travers une multiplication des crises environnementales ou socioéconomiques causées par l’exploitation des hydrocarbures ? Depuis 2000, la course aux ressources en hydrocarbures cible de plus en plus les gisements en mer profonde ou ultra-profonde situés dans l’écorégion marine ouest-africaine (WAMER). A cet effet, la Mauritanie fournit un exemple intéressant de ces enjeux et adopte un programme biodiversité gaz pétrole (BGP) pertinent. Ce programme a pour but d’anticiper sur les impacts environnementaux et surtout d’essayer de protéger la biodiversité marine et les intérêts du secteur de la pêche contre les pollutions majeures liées à l’exploitation pétrolière du gisement de Chinguetti. A travers cette découverte de 2001, la Mauritanie a réussi à mieux faire connaître son environnement marin. Pour rappel, au pied du talus et dans le canyon de Timiris, des récifs de coraux profonds ont été trouvés (Eisele et al, 2011). Dans ces canyons, des coraux d’eau froide et d’autres espèces benthiques2 vulnérables ont été documentés (Westphal et al, 2013). La recherche informe que les témoignages des pêcheurs et les observations montrent que les canyons accueillent une riche biodiversité (coraux profonds, poissons etc.) et qu’ils constituent des lieux privilégiés pour la remontée des eaux de l’upwelling3 . Dans cette dynamique, il faut comprendre que les aires de répartition biogéographique des deux pays (Mauritanie et Sénégal) présentent des caractéristiques écosystémiques similaires. Ce dernier (Sénégal), héberge une biodiversité marine importante dont le secteur de la pêche dépend entièrement pour sa survie. C’est un secteur économique capital qui joue un rôle 2 L'adjectif benthique dérive de benthos et s'emploie pour préciser qu'une espèce vit dans la zone de fond marin, soit à proximité du fond (organismes vagiles), soit directement sur le substratum (épibenthique), soit même dans celui-là (endobenthique). Cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Benthos 3 (upwelling ou remontée d’eau profonde) est un phénomène océanographique qui se produit lorsque de forts vents marins (généralement des vents saisonniers) poussent l'eau de surface des océans laissant ainsi un vide où peuvent remonter les eaux de fond et avec elles une quantité importante de nutriments 3 important dans les domaines vitaux tels que la sécurité alimentaire, l’emploi, la création de richesses, l’équilibre de la balance commerciale etc. Dès lors, le gouvernement, les organisations non gouvernementales (ONG), le monde universitaire et les centres de recherche scientifiques doivent saisir cette opportunité de découverte d’hydrocarbures pour approfondir leurs connaissances sur la biodiversité en eau profonde et sur la vulnérabilité écologique, car ces deux dernières restent encore méconnues en eau profonde (supérieur à 1000 mètres). Ces connaissances permettraient aux décideurs de mieux contrôler l’activité de la pêche industrielle usant des filets de chalutage sur les habitats du fond marin (connaissances déjà soulevées par les prospections pétrolières en Mauritanie). Actuellement, le pays se situe à un moment clé de son histoire pétrolière mais son environnement benthique n’est pas encore bien maîtrisé et les connaissances sur la vulnérabilité écologique en surface et au fond restent très limitées. Selon les résultats de l’évaluation du puits SNE, de celui de Téranga1 et de Guembeul1, la production des premiers barils de pétrole « Made in Sénégal » et du gaz naturel est attendue éventuellement en 2021- 2023. Ainsi, face à l’insuffisance de la connaissance et de l’information sur le talus continental sénégalais et les risques liés à l’exploration des autres blocs et à la production future des réserves récupérables déjà annoncées, l’Etat doit d’ores et déjà prendre des mesures idoines avant de signer les contrats pour l’exploitation proprement dite (production) mais surtout de définir clairement les clauses environnementales avec les compagnies majors ou juniors actifs pour la préservation de l’environnement marin et les ressources halieutiques. A défaut de bien planifier et de maitriser tout le processus de cette activité pétrolière ou gazière, des possibilités destructrices de richesse sur la biodiversité marine, sur le tourisme et surtout sur l’industrie de la pêche maritime pourraient être observées dans le futur. A cet effet, Le Sénégal pourrait subir sans doute les mêmes sorts que connaît le delta du Niger en termes de raréfaction des ressources halieutiques et de désastres écologiques. L’économie de la pêche maritime pourrait à ce moment en ressentir terriblement les conséquences. Au regard du principe de précaution, le répit actuel mérite d’être mis à profit pour préparer le Sénégal à une gestion environnementale responsable face à cette nouvelle ère de l’industrie pétrolière. Il s’agit dans ce cas de minimiser les risques environnementaux du secteur des hydrocarbures par le biais d’un renforcement du cadre réglementaire et sécuritaire. De mettre également en place un système d’alerte précoce pour la micro contamination afin de mieux 4 renforcer le plan de gestion environnementale (PGE) durant tout le cycle de vie de la production pétrolière ou gazière offshore. Cependant, un cadre de partenariat entre le monde universitaire, scientifique et les compagnies pétrolières, pourrait faciliter la gestion de l’exploitation des combustibles fossiles en mer. Ceci pourrait permettre également aux compagnies pétrolières internationales (CPI) de contribuer activement à la recherche et au renforcement des capacités au bénéfice des Sénégalais. Avec un peu de volonté pour relever ces défis, il serait permis d’espérer, que le secteur des hydrocarbures contribuerait de façon positive à la politique du développement durable de la pêche et de la biodiversité marine au Sénégal. 


Abdou GUEYE 

Diplômé du Master International « Gérer les Impacts des Activités Extractives »(GAED) Parcours : Activité Pétrolière et Gazière 

Contact : abdourahmangueye@gmail.com 


Mercredi 1 Février 2017 06:46

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