Alphadi : « Le Fima est le plus vieux festival africain dédié à la mode, il continuera de vivre »


À l'occasion de la 10è édition du Festival international de la mode africaine (Fima), qui s'est tenu à Agadez, au Niger, Alphadi, fondateur de l'événement qui fêtait ses 20 ans, nous a livré ses impressions.

En 1998, le styliste nigérien Alphadi organisait dans le désert du Tiguidit (site naturel classé par l’Unesco), près d’Agadez, la première édition du Festival international de la mode en Afrique (Fima). Pour sa dixième édition et ses 20 ans, il a voulu revenir là où tout a commencé.

Les 16 et 17 décembre dernier, le “prince du désert” a donc réuni – en dépit de défections de dernière minute – quelque 200 stylistes, mannequins et personnalités pour célébrer cette mode africaine à laquelle il croit. Le thème retenu cette année : « Éducation et industrie pour une Afrique de métissage et de paix ». Car pour Alphadi, si le continent regorge de multiples talents, l’enjeu aujourd’hui est de donner à ces derniers les moyens de se professionnaliser et de vivre de leur art, via les concours Top model et Jeunes créateurs.

Nous l’avons rencontré lors du festival.

Into the Chic : Quelques créateurs n’ont pas fait le déplacement du Fima cette année. N’est-ce pas dommage pour le succès du festival ?

Alphadi : Le Niger est malheureusement mal desservi et certains créateurs ont pu rater leur vol. L’Éthiopie est en Afrique, mais il est très difficile de faire partir un styliste d’Addis-Abeba pour Agadez. D’autres ont eu un empêchement de dernière minute. En tous cas, nous sommes ravis d’avoir accueilli ceux qui ont fait l’effort et de se déplacer. Et j’ai particulièrement apprécié que Jean-Paul Gauthier, que j’avais invité, nous ait prêté sa collection pour le final, faute d’avoir pu voyager…

Certains participants ont justement estimé que sa collection n’était pas vraiment à la hauteur de l’événement…

C’était une collection Couture prêt-à-porter. Au moins il a rendu hommage à l’Afrique en prenant la peine de nous l’adresser. Les créateurs africains pressentis n’ont pas eu la même démarche. Vous savez, je ne suis pas dupe. Certains ne se sont pas particulièrement démenés pour être là, bien qu’ils aient accepté de figurer dans notre catalogue, et bien que leurs titres de transport aient été établis. Ils préfèrent faire – ou s’imaginent faire – de l’ombre au Fima en organisant, chez eux, leur propre manifestation. C’est regrettable. Le Fima est le plus vieux festival dédié à la mode sur le continent. Il continuera de vivre.

Vous semblez critiquer la multiplication des manifestations dédiées à la mode africaine. Un partenariat Fima-Adama Paris est-il envisageable ?

Je respecte ce que fait Adama Paris : organiser des fashion week aux quatre coins du monde. Mais ce n’est pas ma conception des choses. Plusieurs fois, elle est venue au Fima, a noué des contacts avec des stylistes, les a emmenés à Paris, par exemple, où ils ont dû payer des stands et sont rentrés chez eux sans avoir pu placer la moindre pièce de vêtement. Déplacer de jeunes créateurs sans contrepartie, ce n’est pas ma philosophie. J’essaie de trouver des solutions sur le continent, de leur octroyer des prix qui constituent de réels coups de pouce. Il y a dans ma démarche une dimension sociale. Je n’essaie pas de gagner de l’argent ; au contraire, j’en perds continuellement. Le Fima n’a jamais été un festival où l’on fait des bénéfices. Ma satisfaction, c’est réunir le continent, donner une certaine dignité à ses créateurs de monde. Je crois en ce que je fais.

Des chefs d’État et des premières dames vous soutiennent…

Quelques-uns croient en moi et m’accompagnent à leur manière, sans me donner d’argent. C’est important et j’apprécie. Les voir se muer en mécènes pour jeunes créateurs me comblerait davantage. J’aurais pu être milliardaire avec la marque Alphadi, mais j’ai préféré me consacrer à la création africaine, la sublimer, lui assurer une réelle visibilité. Donner une chance au Fima, c’est aussi, grâce aux emplois générés, stopper nos enfants qui meurent en mer en tendant de fuir le continent pour regagner l’Europe.

C’est aussi pour cela que vous jugez indispensable la création d’une université dédiée à la mode sur le continent. Où en êtes-vous de ce lancement ?

Sur le papier, elle existe déjà. L’école formera au stylisme et, surtout, au management des industries de la mode, un enseignement qui sera sanctionné par un diplôme de niveau bac + 4. Les programmes et les différents cursus sont déterminés, les autorisations de lancement accordées, les partenariats avec des universités françaises et américaines définis, les travaux de construction en partie entamés… Je ne voudrais pas passer à la vitesse supérieure et être contraint de m’arrêter, faute de fonds. L’état nigérien a bien accepté de nous accorder 250 millions de francs CFA, sur un budget de 1,5 milliards, somme qui n’a toujours pas été débloquée. Or les bailleurs de fonds internationaux attendent juste que Niamey donne l’exemple pour suivre.

Quel serait votre vœu le plus cher pour le Fima ?

Qu’il se déroule désormais une fois sur deux dans un autre pays du continent. Le Fima doit sortir du Niger pour montrer son savoir-faire. C’est aussi le moyen de confirmer son caractère international. Des pays comme la Côte d’Ivoire et le Maroc en ont fait la demande. Nous trouverons le moyen de les satisfaire, d’autant qu’au Niger, certains voient dans le mode une forme d’avilissement de la femme. Évidemment, cela n’a rien à voir. Nous nous battons simplement pour la création et pour l’industrie de la mode.

Mon autre souhait est que le Fima abrite enfin le premier salon d’échanges entre acheteurs et vendeurs et serve de plateforme de rencontres B2B (« business to business ») entre les créateurs et leurs financeurs potentiels.



Mardi 27 Décembre 2016 07:12

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