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Souvenirs et témoignages sur Lamine Guèye : La saga méconnue d'un Doyen des chefs d'Etat


Souvenirs et témoignages sur Lamine Guèye : La saga méconnue d'un Doyen des chefs d'Etat
Premier docteur d'Etat en droit africain, premier Président de l'Assemblée nationale, premier maire de Dakar. Me Lamine Guèye mérite un hommage à la hauteur des responsabilités qu'il a exercées au Sénégal et en Afrique, mais aussi eu égard à sa contribution directe à la formation académique de grands cadres comme Valdiodio Ndiaye, Cheikh Anta Diop, Me Babacar Sèye ou… Me Abdoulaye Wade, pour ne citer que ceux là. Décédé le 10 juin 1968, Lamine Coura Guèye, premier avocat noir souffre paradoxalement d'un déficit de notoriété si peu mérité. 
  

Fils d'un riche commerçant, Birahim Guèye, et de Coura Guèye, Me Lamine Guèye est né le 20 Septembre 1891 à Médine dans le Soudan français, actuel Mali. En 1930, il rencontre en France Marthe-Dominique Lapalun, sa future épouse d'origine guadeloupéenne avec qui, il n'aura qu'un seul enfant prénommé Iba décédé très jeune. Néanmoins, il adopta Renée, la fille de Marthe.  

 
Lamine Guèye est un acteur principal de la politique africaine. Malheureusement, regrette le Pr Amady Aly Dieng, «il n'est pas connu de la jeunesse, car il n'a jamais été chef d'Etat alors que c'est le doyen des chefs d'Etat». Il aurait pu être connu s'il avait laissé un héritage littéraire pour les futures générations. Un manque qu'il justifie dans les colonnes du journal Dakar-Matin du 24 mai 1966 : «Je n'ai pas l'habitude d'écrire. Tous mes discours, même les plus importants, étaient improvisés. Il y a à cela une raison très simple ; j'éprouve beaucoup de difficultés à lire et quand je lis, je ne me sens pas le même.» 
Si l'on se réfère au Pr Dieng dans son ouvrage Lamine Guèye, une des grandes figures politiques africaines (1891-1968) qui sera publié prochainement, l'héritage littéraire de Me Lamine Guèye se réduit à sa thèse soutenue en 1921, à deux ouvrages écrits en 1955 et 1966, ainsi qu'à quelques articles parus dans l'Aof.
Député pendant la Législature de 1945 à 1951, maire de Dakar de 1945 à 1961 et président de l'Assemblée nationale de 1961 à 1968, Me Lamine Guèye a marqué la vie politique du Sénégal entre la fin de la deuxième guerre mondiale et la guerre de Corée. En revanche, il n'a pas pu jouer le rôle auquel le destinait son ancienneté politique incontestable.
  
Relations avec Senghor 


A la mort de Blaise Diagne en 1934, treize étudiants et élèves poursuivant leurs études supérieures en France demandent à Lamine Guèye de se présenter aux élections partielles du 29 août de cette même année. Parmi eux, le jeune Léopold Sédar Senghor alors licencié ès-lettres, étudiant à la Sorbonne et à l'Ecole des Hautes Etudes. Avec l'accord des Français, Lamine Guèye ramène Senghor au Sénégal et en fait son protégé. Au fil des années, les deux hommes s'unissent dans le cadre des négociations devant conduire à l'Indépendance. En face d'eux, d'autres leaders africains favorables à l'autonomie des territoires de l'Aof plutôt qu'à une structure fédérative. Le Sénégal parvient ainsi à la création de la Fédération du Mali regroupant les deux entités Mali et Sénégal. Mais, à en croire le Pr Amady Aly Dieng, leur entente ne dure pas longtemps, car entre 1946 et 1948, des conflits et divergences minent complètement le parti socialiste Sfio. «La première divergence majeure porte sur la nature de la relation entre la Sfio Sénégal et la Sfio France. Senghor n'est guère d'accord avec l'inféodation au parti français et se prononce ainsi en faveur d'une rupture organique avec la Sfio France. Une autre raison de leur problème est que les deux compagnons n'ont ni la même conception du parti ni la même idée de l'orientation qu'il convient d'imprimer à leur action. En outre, ils ont un tempérament différent. Et leurs origines familiales respectives, leurs sensibilités religieuses et la différence de leur formation idéologique ne concourent pas à les faire cohabiter de manière durable», explique l'universitaire. «La dernière raison de la rupture des deux hommes, ajoute le Pr Dieng, est la gifle administrée par Lamine Guèye à l'administrateur de la France d'Outre-mer à Bakel et qui a provoqué l'ire du syndicat des commandants de cercle.»  
Face à de tels écarts, Senghor démissionne de la Sfio et crée un nouveau parti : le Bloc démocratique sé-négalais (Bds). D'après Fatou Guèye, nièce du premier avocat noir, «les militants de Senghor ne se gênaient pas pour attaquer Lamine Guèye en le traitant d'ivrogne et d'athée ; ce que ce dernier n'approuvait nullement. Et c'est ainsi qu'il rétorquait : quiconque me traite ainsi, je ne lui pardonnerai jamais !»  


Par la suite, ce qui dessert Lamine Guèye lors des élections législatives, c'est d'avoir limité ses sorties aux quatre communes (Saint-Louis, Dakar, Gorée et Rufisque) pour privilégier l'électorat des villes au moment où Senghor investit le monde rural, une stratégie qui lui permet de constituer une base électorale plus large. Le natif de Joal va voir les paysans, mange avec eux, et leur raconte même qu'il est paysan comme eux. Conséquence : Me Lamine Guèye est battu aux élections législatives de 1951 par le candidat senghoriste Abass Guèye. 


Malgré leur séparation politique, Senghor reste un fan de Lamine Guèye à l'endroit de qui il dresse un portrait flatteur : «Il rassemble en sa personne tous les dons et toutes les séductions : la naissance et l'intelligence, l'aisance et la générosité, la culture et l'éloquence.» 
  
L'avocat defenseur 


Premier avocat défenseur africain auprès de la Cour d'Appel de l'Afrique occidentale française (Aof), Me Lamine Guèye défend les municipalités contrôlées par des Africains contre les puissantes maisons de commerce de Bordeaux. Il s'investit également auprès d'autres personnalités africaines alors persécutées par les autorités coloniales comme Cheikh Hamallah, Me Amadou Diop, El Hadj Magatte Bâ... D'autre part, il s'illustre dans la défense des tirailleurs «Sénégalais» inculpés lors des évènements tragiques survenus au camp de Thiaroye. Malgré la position de son parti, la Sfio, qui a voté en 1947 la levée de l'immunité de trois parlementaires malgaches, il prend sa Robe pour aller les défendre devant le tribunal de Tananarive. 


Par ailleurs, les premières plaidoiries du jeune avocat de trente ans sont consacrées à des procès politiques ou étroitement liés à la politique. Il les énumère dans l'ouvrage du Pr Amady Aly Dieng : «Procès municipalités de Dakar et de Rufisque contre les établissements Maurel et Prom ; procès Galandou Diouf contre Gaston Saucet devant le tribunal de Saint-Louis opposant Amadou Duguay Clédor Ndiaye, maire de Saint-Louis, ès-qualité à la Compagnie française de l'afrique occidentale (Cfao).» De la nature de tels procès, Lamine Guèye disait : «Les affaires importantes touchant directement les responsables politiques du pays ne pouvaient manquer d'attirer les foules ardentes et passionnées aux audiences où elles devaient être débattues et même à celles où il ne s'agissait que de fixer la date des plaidoiries.» 


Plus tard, c'est Amadou Duguay Clédor Ndiaye qui l'aide à gravir les échelons judiciaires en intervenant auprès du gouverneur de l'Aof. En 1931, il devient magistrat et pendant 6 ans, il est président de Chambre correctionnelle. En février 1937, il est nommé conseiller à la Cour d'appel de la Martinique. Trois ans plus tard, le virus de la plaidoirie le tient de nouveau, il quitte la magistrature, réenfile sa robe et rentre au Sénégal. 


 Côté jardin  - Le thiou cary, son plat préféré… 
Raconté par ses proches parents, Lamine Guèye apparaît sous les traits d'un homme ordinaire loin d'être grisé par le prestige de ses charges et fonctions. Générosité, modestie, il était aussi un gourmet qui se faisait un devoir d'intervenir dans la préparation de son plat préféré, le thiou cary. 
  
Chez les membres de sa famille que nous avons rencontrés, Lamine Coura Guèye est reconnu d'emblée comme un homme très poli, généreux et adorant ses proches. Par exemple, il trouvait toujours du temps pour aller voir son meilleur ami, Amadou Touré, où son frère unique Amadou Guèye dont le fils, El Hadj Thiada Guèye, était son chauffeur. Tous deux logeaient à la Médina. 


Adji Ndèye Touré, la fille de Amadou, se souvient de celui qu'elle considérait comme son propre père, elle qui a perdu le sien «très tôt». Nous l'avons retrouvée chez elle, dans la maison que Lamine Coura avait offerte à sa famille, à la Médina. Dans le salon, assise à même le sol, chapelet à la main, cette femme septuagénaire se livre avec nostalgie, le sourire aux lèvres. Ce sourire, elle le justifie car dit-elle, «je garde de très bons souvenirs de lui». Bribe d'histoire comme celle-ci : «Lamine Guèye était le meilleur ami de mon père mais je ne me souviens pas trop de leurs relations car j'étais très jeune. Mais après le décès de mon père, il fréquentait mon mari et tous les jours à 16 h, il venait le voir pour prendre le thé et discuter. Ensuite, ils allaient ensemble au cimetière se recueillir sur la tombe de Iba (Ndlr : le fils unique de Lamine Guèye) avant de revenir à la maison.» Une pause puis une autre bribe, avec sa dose de tristesse : «J'ai très tôt perdu mon père et c'est ce qui m'a le plus rapproché de Lamine Guèye que je considérais comme mon papa. J'allais le voir chez lui et il me gavait de friandises ! Ensuite, étant devenue une grande fille, je faisais la cuisine pour lui et je lui préparais tous les plats.» Gourmet, Lamine Guèye avait sa préférence : «Il adorait le thiou cary, c'était son plat préféré.» Un choix qu'il accompagnait souvent d'une gentille suggestion : «Il me disait : Ndèye, si tu veux que le Thiou Cary soit plus succulent, il faut y mettre du poulet.» Une anecdote que la fille de Amadou Touré accompagnait de rires aux éclats. 
 
De la Médina à Fann-Hock, le chemin n'est pas long qui mène à la demeure d'une nièce de l'ancien président de l'Assemblée nationale. Fama est, en effet, la fille de Amadou Guèye Birahim, frère unique de Lamine Guèye, et de la dame Gnagna Ndiaye. Agée d'environ 70 ans, Fama a encore en elle des souvenirs frais des rapports qui existaient entre son oncle et son père. «Tonton Lamine venait souvent rendre visite à mon père chez lui à la Rue 5 angle 8 à la Médina. Il lui vouait un grand respect car mon père était beaucoup plus âgé que lui.»  
 
Plus âgé sans doute, mais aussi et surtout très conservateur. «Mon père était si orgueilleux que lorsque tonton Lamine le poussait à inscrire ses enfants à l'école, il refusait en lui disant sèchement : non Lamine ! Mes enfants n'iront jamais à l'école fréquenter les blancs ! Amadou était très nerveux, il se disputait parfois avec Lamine qui, cependant, ne répliquait jamais eu égard au respect qu'il avait du droit d'aînesse.»  
Extrême manifestation de cette retenue que rapporte Fama Guèye : «Quand mon père lui criait dessus, Lamine feignait de ne rien entendre, et les bras au dos, il regardait les portraits affichés au mur, faisant les cent pas, et il changeait brusquement de sujet en disant par exemple : Amadou, c'est qui sur cette photo ?» Une attitude qui énervait très fortement mon père car il voulait que mon oncle Lamine réponde à ses provocations.»  


Malgré ces querelles anodines et plutôt fraternelles, le benjamin Lamine prenait bien soin de son frère Amadou. A la mort de ce dernier, le corbillard était escorté par les Spahis. Curieusement, c'est à ce moment seulement que les voisins de l'ex-président de l'Assemblée nationale découvrirent que Amadou Guèye était le frère sanguin de Lamine Guèye. 
A ce niveau, ressort une autre qualité de Lamine Guèye que décline Fatou Guèye, une autre nièce que nous avons dénichée à la rue 5 angle Blaise Diagne. «Les funérailles de tonton Amadou furent grandioses et c'est Lamine qui avait tout organisé. Sa générosité était telle que c'est tout le monde qui en bénéficiait, notamment par des pèlerinages à la Mecque. Et à la mairie de Dakar, ce sont les gens qui en profitaient, pas lui.» Généreux mais également modeste, selon Fatou Guèye. «Mon oncle avait une chambrette spécialement conçue pour ses recueillements spirituels. Cette pièce était remplie de livres de Coran. Il s'enfermait pendant des heures et beaucoup de gens ignorent ce côté spirituel de mon oncle. Sa mort n'a laissé personne indifférent.» 
  
ELITISME - Formation des cadres sénégalais et africains : L'arme des bourses d'études 
  
La formation supérieure des cadres du pays était une voie incontournable que Lamine Guèye a favorisée du mieux qu'il a pu pour décomplexer les élites locales face aux Français. 
 
Dans ses fonctions de Premier magistrat de Dakar, Lamine Guèye initie une politique d'octroi de bourses municipales à des étudiants et élèves africains désireux de poursuivre leurs études en France. Ainsi, Doudou Thiam, Valdiodio Ndiaye, Cheikh Boubacar Fall, Boubacar Guèye Yaguemar, Cheikh Anta Diop, Babacar Sèye, Abdoulaye Wade, Thierno Birahim Ndao, Malick Dione, James Benoist, Omar Vilane, Maurice Senghor, Kadijatou Diouf, Virginie Camara, Abdoulaye Douta Seck, Marie-Thérèse Diop, entre autres ont pu en bénéficier. Dans cette logique de favoriser l'excellence, il n'hésite pas à offrir des bourses à des non Sénégalais comme le guinéen Diallo Louis, à des employés du secteur privé et même à des non titulaires du baccalauréat. Des gestes généreux que Lamine Guèye justifie de façon très idéologique : «Sur 1 000 étudiants boursiers, 10 pourront réussir et les autres pourront se décomplexer en sachant que les Français sont comme nous …» 
L'histoire lui a donné raison, car en 1961, ces bourses ont permis de former 7 médecins et pharmaciens, 2 docteurs et 7 licenciés ès-Sciences, 4 sages-femmes d'Etat, 12 licenciés ès-Lettres, 3 docteurs et vingt-huit licenciés en droit, environ 30 techniciens... Voila pourquoi Amady Aly Dieng se fâche presque : «On n'écrit jamais sur Lamine Guèye alors qu'il y en a des tonnes sur Senghor qui a reçu beaucoup de titres de Docteur honoris causa alors qu'il ne le méritait pas. Lamine Guèye est le premier Docteur en Droit, donc c'est lui qui méritait davantage ces titres, Senghor n'est pas Docteur, c'est un Agrégé. C'est injuste qu'on n'écrive pas sur Lamine Guèye. Cet homme à l'élégance légendaire et au sourire ravageur mérite que sa mémoire soit gravée dans les esprits des jeunes africains. Il est temps que les historiens lui consacrent des livres.»

Comme pour donner raison à l'universitaire sénégalais, Félix-Houphouët Boigny, ancien élève de Lamine Guèye et futur président de la Côte d'ivoire, a dit un jour : «Nous sommes tant d'africains à lui devoir tant.»
  
Par Astou Winnie BEYE Journaliste


Samedi 11 Juin 2016 - 08:18





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